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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Focus sur la jeunesse et les médias


Lettre du jeudi 29 septembre 2016 - Source: Fondation officielle de la jeunesse



Serge Tisseron, psychiatre et docteur en psychologie, est l’auteur de nombreux ouvrages dont notamment 3-6-9-12, apprivoiser les écrans et grandir, éditions Eres. Et, pour les adolescents: Manuel à l’usage des accros aux écrans, ou comment garder à la fois mon ordi et mes parents, éditions Nathan. Il livre ici une série de leviers utiles pour l’éducation aux médias, pour développer l’empathie et le bien vivre ensemble. L’équivalent de ce qu’on nommait au Mlle siècle « l’honnête homme» passe aujourd’hui par l’acquisition d’une culture numérique. Car Internet est un outil formidable pour ceux qui savent s’en servir. Malheureusement, bien peu d’enfants sont accompagnés dans cet apprentissage. La famille, l’école, et les collectivités publiques ont un rôle majeur à jouer pour mettre en place cette éducation. Quatre leviers peuvent être utilisés.

 

1-Expliquer Internet
Internet suscite inévitablement chez ceux qui l’utilisent des formes de communication biaisées. L’autre n’y est pas vu et il arrive vite qu’on lui parle sans se soucier de ce qu’il pense. C’est pourquoi il est important d’expliquer aux enfants que sur Internet, il ne faut jamais dire à quelqu’un ce que l’on ne lui dirait pas en face à face. Mais il importe tout autant d’expliquer que ce que l’on trouve sur Internet n’est pas forcément vrai, et que tout ce que l’on y met peut tomber dans le domaine public et y rester éternellement. Une place doit également être faite à l’explication des modèles économiques d’Internet (rien n’y est «gratuit») et au droit à l’image et à l’intimité.

 

2-Développer les controverses et les débats
Sur Internet, les débats dégénèrent très vite en affrontements de personnes et en attaques insultantes. Il est essentiel de l’expliquer, mais cela ne suffit pas. La famille et l’école doivent donner le goût du vrai débat, et pour cela en organiser dans le respect de la personne et des opinions de chacun. De tels échanges sont indispensables pour amener l’enfant à prendre en compte le point de vue de l’autre en acceptant de se mettre émotionnellement à sa place.

 

3-S’appuyer sur le corps et le théâtre
En mettant les corps en présence, le jeu théâtral permet de développer l’empathie, qui est la capacité de se mettre émotionnellement à la place de l’autre. Il constitue donc un excellent moyen de lutter contre l’absence des corps sur Internet et les nombreux quiproquos qui résultent de communications sans aucune régulation mimo gestuelle. Le théâtre familiarise avec l’importance des mimiques dans la compréhension de l’autre et dans la régulation de la relation. Et son efficacité est encore plus grande quand il invite les enfants à changer alternativement de rôle de façon à éprouver successivement toutes les places dans une relation. C’est exactement le but que s’est fixé le Jeu des trois figures, ainsi nommé en référence aux trois personnages de l’agresseur, de la victime et du tiers, que celui-ci soit simple témoin, sauveteur ou redresseur de tort. Après avoir été développé en classe maternelle, il l’est aujourd’hui en classe élémentaire et en sixième.

 

4-Utiliser les outils numériques au service d’une narration de soi
Beaucoup d’adolescents ont le sentiment que les adultes ne les écoutent pas. Mais beaucoup d’entre eux sont en grande difficulté pour construire un récit d’eux-mêmes qui leur permettent de s’inscrire dans une histoire à la fois personnelle, familiale et sociale. Le succès des mouvements extrémistes vient d’ailleurs en grande partie de leur capacité à proposer aux adolescents qui ne parviennent pas à se construire leur propre récit de vie une narration prêt-à-porter, d’autant plus séduisante qu’elle repose sur des oppositions binaires. Si cette auto narration de soi a toujours été difficile, elle l’est plus encore aujourd’hui, car les enfants bénéficient de moins en moins de grands-parents ou de parents qui leur lisent des histoires et les invitent à en raconter eux-mêmes.

 

Scotchés très tôt devant des programmes de dessins animés au rythme frénétique et aux enjeux narratifs quasiment nuls, la plupart des enfants n’apprennent pas à développer leurs capacités narratives. Leur proposer de parler de ce qu’ils voient suries écrans, puis plus tard de ce qu’ils y font, en famille comme à l’école, est une façon d’introduire à la culture narrative ceux qui ne lisent pas. Mais comment proposer de se raconter à des adolescents qui semblent fâchés avec le langage? En leur proposant d’utiliser leur téléphone mobile ! Les inviter à raconter avec cet outil leurs joies, leurs tristesses, leurs questions et leur parcours leur permet peu à peu de prendre du recul par rapport à ce qu’ils vivent et de poser les bases d’éléments narratifs personnels.

 

Un tel programme est actuellement mis en place sur Paris dans le cadre de la lutte contre le risque de dérive radicale d’une partie de la jeunesse. Son intitulé, «C’est à moi que tu parles ?!», évoque la phrase culte du film Taxi Driver que tous les adolescents ont en mémoire. Grâce à cette activité, ils commencent à s’approprier leur propre existence en prenant les autres à témoin du récit qu’ils en font. La reconnaissance des parcours de vie différents de chacun y devient une source d’enrichissement mutuel et constitue un support pour la construction de relations inter personnelles.

 

Nous voyons que l’éducation aux médias ne se réduit pas à des conseils qui permettraient de repérer les pièges d’Internet et de les éviter. Tous les jeunes ne le peuvent pas et tous ne le veulent pas. Elle doit mettre à profit la capacité des jeunes à s’approprier les nouveaux outils pour les engager dans des pratiques créatrices et socialisantes qu’ils leur redonneront le goût de l’échange respectueux et de l’enrichissement mutuel. Il en va de la société de demain.

 

Extrait de Initiale F

 

Serge Tisseron, Psychiatre et Docteur en psychologie

Bibliographie : 3-6-9-12, apprivoiser les écrans et grandir, éditions Eres.

Et, pour les adolescents: Manuel à l’usage des accros aux écrans, ou comment garder à la fois mon ordi et mes parents, éditions Nathan.

En savoir plus : www.sergetisseron.com


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