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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Le médiateur, co-créateur de solutions


Lettre du jeudi 13 octobre 2016 - Source: Couple et Famille



Aujourd’hui, le terme médiation est utilisé pur beaucoup de monde et dans de nombreuses activités: culturelle, civile, pénale, familiale, sportive, associative, commerciale, scolaire ou de voisinage. C’est dire que la société a compris l’intérêt de cet outil dans la gestion des conflits, mais qui pourrait se perdre dans ses multiples déclinaisons. «La médiation, c’est l’art d’une création en commun. Tous les participants sont des artistes […] qui investissent la créativité de leur être» comme l’écrivent Florence Studer et Marc Rosset, médiateurs romands dans leur livre «Médiation» paru en 2013. Et de poursuivre «Le tiers, un artiste artisan, met à leur disposition des outils et son expérience pour qu’ils puissent surmonter ces obstacles, transformer leurs angoisses en espoirs et les énergies du conflit en une source d’inattendus.»

Je trouve la notion d’artisan très intéressante, car elle implique que la médiation participe à la création de quelque chose. Cet «objet», issu d’un différend ou d’un conflit, a priori péjorant la vie d’au moins deux personnes, tend à quelque chose de nouveau. Pour un médiateur, offrir de sa créativité, de son être, de sa curiosité pour permettre un renouveau est évidemment une source de motivation très forte. Mais il faut bien comprendre que s’il participe à sa création, le médiateur n’est pas un donneur de solutions toutes faites, de projets «clé en main». Tour l’art de la médiation est de permettre aux médiés de trouver en eux des ouvertures. Et rien que pour cela, un processus de médiation ne s’improvise pas.

Chaque élément a son importance: de la préparation de la salle à la posture du médiateur, en passant par la clarification du cadre ou de la gestion du temps. Tous ces éléments sont autant de techniques apprises comme un musicien travaille son doigté ou le solfège. Dans l’idéal rien n’est laissé au hasard… excepté l’issue de la médiation qui appartient aux médiés. Sauf que l’idéal est une aspiration et que, comme les médiés, le médiateur vit avec ses émotions et ses peurs. Eh oui, la médiation est une rencontre d’humains et travailler avec l’humain exige du soin. C’est pourquoi la qualité de la formation est importante. Un médiateur familial doit avant tout être une personne formée et si possible reconnue par des organes fédérateurs cantonaux ou nationaux.

Une rencontre de qualité passe donc par un savoir-faire et un savoir-être du professionnel. Le savoir-faire, ce sont tous les outils et techniques de reformulation, de silence habité, d’humour maîtrisé (car il peut y avoir de l’humour, même dans un contexte conflictuel) ou encore de la garantie d’un cadre sécurisant, neutre et confidentiel, par exemple. Le savoir-être est cette prédisposition à l’accueil de l’autre, à l’empathie, à l’écoute. C’est ce qui est inné ou acquis avant la pratique de la médiation. Nous avons tous l’expérience d’enfants qui jouent un râle apaisant dans un groupe ou l’un d’entre eux prend un rôle de confident, car pourvu d’une écoute de qualité. Ce n’est pas pour autant qu’ils seront bons thérapeutes ou médiateurs, mais ils ont en eux des atouts qui servent dans les métiers de l’aide.

Ainsi l’écoute est une qualité fondamentale. Au jour d’aujourd’hui, avoir une écoute sincère et profonde est très difficile. Nous sommes attirés par les sources de stimulations extérieures constantes et en particuliers les écrans. Avec ce devoir/besoin d’être connecté jour et nuit, nous modifions inexorablement le lien à l’autre. Dans leur livre «Trois amis en quête de sagesse»1, les auteurs livrent leur vision de l’écoute. Je trouve particulièrement explicite cette phrase du psychiatre Christophe André: «Des gens viennent nous voir (en consultation), ils commencent à parler, on imagine à l’avance comment leurs phrases vont finir, ce qu’ils veulent nous dire, et on va leur donner des réponses qui peuvent être pertinentes, mais sans vraiment les avoir écoutés. On n’a cependant fait que la moitié du boulot, parce que, quand l’autre nous parle, il ne veut pas seulement obtenir des réponses, il veut sentir une présence, de la fraternité, de l’affection».

Et Alexandre Jollien, philosophe, d’ajouter: «Trop souvent, sans écouter l’autre à fond, je ramène tout à moi, à mon histoire […]. Affligeant réflexe qui nous pousse à balancer des «ça me rappelle ma belle-mère», «tu me fais penser à mon cousin…», « j’ai vécu la même chose, enfant», etc… ». Eh oui, nous faisons tous la même chose, alors essayons de nous observer dans notre relation à l’autre et essayons d’écouter avec profondeur et lâcher-prise pour ne pas penser à la place de l’autre. En médiation, c’est tout l’enjeu. Permettre à des personnes en conflits de s’écouter et d’accepter qu’elles puissent penser différemment. Voilà, l’objectif principal d’un processus.

Le médiateur tiers est là pour restituer, reformuler, mettre des mots, quittancer les propos, faire exister le discours, le dialogue et l’écoute. Il s’agit avant tout d’une dialectique entre les émotions et les faits. «Je veux voir plus souvent mon enfant», dira l’un. «Je suis tellement blessé» dira l’autre. En règle générale, plus le conflit est dense, plus les émotions sont profondément ancrées en nous. Cela veut dire aussi que la médiation a d’autant plus de sens qu’elle permet aux médiés de tenter de dénouer les écueils qui polluent leur relation. Face à la complexité d’une situation, nous avons parfois tendance à déléguer pour éviter de dépenser une énergie conséquente. On le voit dans les cas de divorce lorsque la recherche de solutions est confiée à d’autres, comme les avocats

La médiation est donc un lieu d’écoute, d’échange, de don de soi (pour les médiés mais aussi pour le médiateur). Il s’agit d’un processus «sur-mesure» capable de se modeler, s’adapter, se modifier. Le processus est certes «sur-mesure», mais la technique ne l’est pas. Que l’on soit en rencontre préliminaire à deux ou en séance à trois ou plus, le médiateur fait œuvre de la même technique d’artisan. Il permet de rendre visible les différences et de reconnaître les ressemblances afin que cela soit suffisamment acceptable pour que les parties trouvent d’elles-mêmes des solutions.

Pierre-Alain Corajod, médiateur familial


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