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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Ce que cachent leurs petits mensonges


Lettre du vendredi 23 mars 2018 - Source: Echo Magazine



«Mes enfants me racontent souvent de petits bobards pour me tester. Mais étrangement, ils laissent des indices, comme s’ils voulaient que je les démasque. Ils m’assurent par exemple n’avoir jamais mangé les biscuits alors que la boîte vide est bien visible dans la poubelle de leur bureau! Et quand je gobe leurs histoires, ils sont tellement contents qu’ils me le disent!» Le quotidien de Gabrielle, mère de quatre enfants âgés de 5 à 13 ans, ressemble à celui de bien des parents confrontés au mensonge. Interloqués de voir l’aplomb avec lequel leurs bambins nient l’évidence, ils sont parfois décontenancés, voire inquiets, de constater un accroc dans la relation de confiance qu’ils s’efforcent de tisser.

Qu’ils se rassurent: le mensonge fait partie du développement normal. «On observe les tout premiers dès l’âge de 2 ans et, autour de 4 ans, les enfants se mettent à mentir de manière plus fréquente», constate Olivier Mascaro, psychologue à l’Institut des sciences cognitives de l’Université de Lyon. A cet âge-là, l’enfant prend conscience que ses parents ne peuvent pas lire dans ses pensées et qu’il dispose d’une identité propre. Pour le chercheur, l’apparition de cette «compétence» est un bon signe.

Mensonges blancs
Faut-il pour autant encourager cette aptitude naturelle? Ces dernières années sont apparus de nombreux jeux de société basés sur le bluff comme le Pipolo de Djeco (dès 5 ans), dans lequel il faut tromper les autres avec assurance pour gagner. Si le jeu en famille est un formidable laboratoire d’expériences, «dans la vie quotidienne, laisser passer les mensonges de l’enfant, même les plus insignifiants, revient à l’encourager à nous duper», prévient la psychologue Dana Castro, auteure de Petits silences, petits mensonges (Albin Michel).
Selon elle, il est nécessaire d’apprendre à l’enfant à distinguer les «bons» des «mauvais » mensonges: les premiers servent à «préserver le lien, à ménager les sentiments d’autrui» quand les seconds «mettent en danger soimême ou les autres et abîment en profondeur la relation». Très tôt, les parents transmettent à l’enfant des règles de savoir-vivre: par politesse, mieux vaut ne pas dire à mamie que son cadeau ne nous plaît pas ou éviter les commentaires désobligeants sur la tenue des gens. Ces mensonges «blancs», fréquemment utilisés par les adultes, assouplissent les rouages de la vie sociale à condition d’être utilisés avec parcimonie.

Comment, dès lors, réagir face aux mensonges enfantins? Tenter d’en comprendre les raisons semble essentiel. L’enfant a-t-il peur de ne pas pouvoir assumer la sanction? Dans ce cas, les règles familiales doivent être sans surprise et les punitions proportionnées. Craintil que son image soit écornée, qu’on ne l’aime plus comme avant une fois la vérité révélée? «S’appuyant sur le principe ‘Faute avouée est à moitié pardonnée’, on doit convaincre l’enfant qu’on aura toujours de l’estime pour lui», avance le père Jean-Marie Petitclerc, éducateur spécialisé auprès d’enfants et d’adolescents en difficulté.

«Et ne jamais le réduire à ses comportements: il a menti, mais le traiter de menteur lui colle une étiquette qui l’enferme», souligne- t-il. Certains ont une estime de soi si fragile qu’ils inventent des histoires dont ils sont les héros et à laquelle ils finissent parfois par croire. Dans la petite enfance, de telles affabulations sont facilement repérables et prêtent à sourire: l’un assure avoir terrassé un lion en Afrique, l’autre a construit une f u s é e spatiale dans son jardin,… Mais lorsqu’on grandit, ces petits arrangements avec la réalité se révèlent nocifs. «Un décalage se crée entre ce que l’enfant aimerait être et ce qu’il est. L’illusion qu’il entretient ne l’aide ni à se construire ni à s’améliorer », indique Dana Castro. Si l’enfant prend l’habitude de mentir sans en être ému, elle préconise de faire appel à un tiers: un proche en qui l’enfant a confiance ou un psychologue.

Flagrant délit
«Le mensonge est en lui-même un moment de vérité. Il nous dit quelque chose», analyse Christophe Carré, médiateur et auteur de Caprice, chantage, mensonge… Que faire avec un enfant qui vous manipule? (Eyrolles). Selon lui, l’enfant ment «parce qu’il ignore la différence entre l’imaginaire et la réalité, entre le bien et le mal ou simplement parce qu’il n’a pas encore trouvé d’autre moyen pour régler une difficulté».
Aussi, lorsqu’on le surprend en flagrant délit, se mettre en colère et le forcer à avouer se révèle souvent contre- productif: l’enfant se braque et se referme sur lui-même. Mieux vaut lui assurer que l’on comprend son problème, qu’il ne sert à rien de dissimuler la vérité et réfléchir avec lui à des solutions (réparer sa bêtise, présenter des excuses,…).

«C’est l’occasion d’apprendre à ne plus mentir. Saisissons-la comme une opportunité», conclut Christophe Carré, qui conseille aux parents de dire à l’enfant combien ils sont sensibles à son honnêteté et à sa franchise chaque fois qu’il dit la vérité. Transmettre la confiance et la loyauté, faire de ses enfants des hommes et des femmes de parole est un travail de longue haleine.

Un enfant ment lorsqu’on lui ment
Les parents doivent montrer l’exemple, mais toute vérité n’est pas bonne à dire. Entretien avec Pascal Neveu, psychanalyste et psychothérapeute.

Les parents ont-ils une part de responsabilité dans le mensonge de leurs enfants?
Pascal Neveu: – L’enfant ment pour se protéger, mais aussi pour ne pas faire de peine à ses parents, envers qui il n’a pas tenu sa promesse d’être un enfant idéal. Par ailleurs, les parents sont parfois agréablement surpris de ses capacités à les duper, qui témoignent d’une certaine intelligence. Cette «fierté» le stimule en quelque sorte. Au fil des ans, sa capacité à mentir va s’affiner et, à l’adolescence, elle va lui servir à s’opposer à ses parents, notamment s’ils sont trop rigides ou intrusifs.

Faire croire au Père Noël, est-ce mentir?
– Les légendes comme le Père Noël ou la petite souris sont de jolies fables qui fédèrent la famille. D’un côté, elles réjouissent les parents qui revivent des moments heureux de leur enfance. De l’autre, elles constituent une sorte de rite initiatique: ne plus y croire marque l’entrée dans le monde des «grands». Rares sont les enfants qui se sentent trahis lorsqu’ils découvrent la vérité.

Les parents doivent-ils toujours dire la vérité?
– La transparence est à la mode, mais l’enfant n’a pas la capacité cognitive et émotionnelle à tout entendre. Il y a des histoires familiales douloureuses qu’un enfant n’a pas la maturité pour assimiler. Une mère ne doit pas raconter à ses enfants qu’elle quitte leur père parce qu’il l’a trompée. De même, expliquer en détail les circonstances dramatiques dans lesquelles un parent est décédé (en proie aux flammes, noyé ou s’étant donné la mort) est plus traumatisant pour l’enfant que de mentir par omission et différer ces explications. Le mensonge est néfaste s’il touche à l’histoire personnelle de l’enfant, quand on lui cache ses origines par exemple. Mais il ne pas ériger le mensonge en norme. Un enfant ment lorsqu’on lui ment.

Les enfants sont-ils dupes des mensonges de leurs parents?
– Ils se rendent compte très rapidement des changements parfois imperceptibles dans les comportements de leurs proches, de leur inquiétude par exemple. C’est pourquoi je ne conseille jamais aux couples de cacher un processus de séparation ou un deuil qui les affecte. L’enfant a besoin de vérité, mais on doit veiller à utiliser des mots adaptés à son âge.

Cécile Jaurès/La Croix


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