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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Comment parler de sexualité lors d’une consultation familiale ?


Lettre du jeudi 14 avril 2016 - Source: Couple et Famille



L’ association « Couple et Famille » s’exprime:

Les jeunes ados que je vois venir aux entretiens de famille n’ont pas du tout envie de parler de leur sexualité, et surtout pas devant leurs parents! C’est «Circulez, y a rien à voir!» Déjà qu’ils ont tendance à se retirer, à se mettre dans leur bulle… Là, le rideau est tiré et cadenassé! Les parents non plus, n’ont pas envie d’en parler ! Ni de celle de leur enfant, ni de la leur. Du coup, leur mutisme me met dans la gêne: Est-ce que je ne devrais pas prendre cette mère, ce père à part, pour aborder ces sujets intimes? Mais est-ce qu’on n’en parle vraiment jamais? Plus j’y pense, plus j’ai le sentiment que si la sexualité n’apparaît pas dans les échanges comme un sujet en soi, en fait, il en est constamment question, mais de manière sous-jacente. Je vais essayer d’illustrer cela par quelques thématiques qui reviennent dans les séances.

La sexualité des ados fait souci, lorsqu’elle semble menacer le parcours scolaire: ce sont ces jeunes qui soudain ne semblent plus porter d’intérêt pour les études, s’absentent des cours ou s’arrangent pour se faire renvoyer, et qui, en plus, ont un copain ou une copine, avec qui ils passent l’essentiel de leur temps. Le copain ou la copine en question est vécu(e) alors par les parents comme une menace, un pôle d’attraction qui détourne du bon chemin…Mais la sexualité peut aussi faire souci par son absence: Si seulement il avait une copine ! C’est un cas de figure similaire: un jeune qui désinvestit l’école, mais se renferme sur lui-même, ou canalise son ennui sur internet ou les jeux vidéo. Il inquiète alors par son repli, son absence de contact avec les autres. Si seulement il avait une copine…alors on comprendrait ! On comprendrait qu’il a un autre intérêt, un intérêt qui n’est pas une fermeture, mais va dans le sens de la vie.

La sexualité des ados inquiète lorsqu’elle est associée à une espèce de dérèglement, un dévergondage, avec une mise en danger: ce sont les jeunes qui se mettent à boire, fumer, fréquenter d’autres jeunes (souvent plus âgés) louches aux yeux des parents, qui de leur côté se font du souci pour la santé de leur enfant: est-ce que la consommation de substances va entraîner des rapports non protégés? Est-ce que le désir sexuel va déboucher sur la consommation de drogues? Oui, il peut y avoir de quoi s’inquiéter!

La sexualité des ados dérange… et arrange, quand elle se passe à la maison! Ce sont les jeunes qui revendiquent d’inviter leur copain ou leur copine chez eux, et de pouvoir coucher avec eux. Là, les parents sont souvent très embarrassés et ambivalents: ils sont pris entre l’autorisation légale qu’ont les jeunes de vivre leur sexualité dès seize ans, et leur propre vécu d’adolescents: pour la plupart d’entre eux, il était hors de question de coucher avec un petit ami ou une petite amie tant qu’ils étaient mineurs, et encore moins sous le même toit que leurs parents! Ils sont tentés de mettre une limite, voire un interdit, mais avec le risque que leur fils ou leur fille aille pratiquer sa sexualité… Dieu sait où! Alors on tolère, mais jusqu’où? La sexualité du jeune vient alors comme en concurrence avec celle des parents, qui est bien souvent beaucoup moins intense que celle de la jeune génération! Cela dérange donc, mais cela peut aussi arranger, dans le sens où les parents ont l’impression de contrôler quelque chose; au moins, pendant ce temps-là, ils ne font pas des bêtises ailleurs…

La sexualité des ados risque d’être entravée lorsque les parents retiennent leurs enfants, luttent contre leur autonomie. Il y a des parents qui ont peur que leur enfant se détache d’eux, pour des raisons soi-disant objectives -leur enfant est sensible, fragile, trop jeune, le monde est dangereux et cruel, il faut le protéger- et d’autres raisons beaucoup moins avouables: mais que va devenir ma vie sans lui, sans elle ? Cela est particulièrement frappant chez des parents qui ont élevé tout seul leur enfant et qui ont renoncé, pour eux-mêmes, à avoir une vie affective et sexuelle, afin de se consacrer à leur enfant; celui-ci risque alors d’accumuler une énorme dette psychique vis-à-vis de ce parent qui a tout donné pour lui: aura-t-il le droit de s’éloigner de lui et développer sa propre vie, sans avoir le sentiment de l’abandonner? Telles sont les thématiques qui constituent, bien souvent, la toile de fond des réunions de famille. Mais au fond, pourquoi est-ce que j’avais au départ l’impression qu’on n’y parlait pas de sexualité?

Je réalise maintenant que pour moi, la sexualité des jeunes fait partie d’une thématique plus large, qui est celle de leur émancipation : il s’agit pour eux de sortir de la relation de dépendance qu’ils ont vis-à-vis de leurs parents, pour aller se «planter» ailleurs… sexe y compris! Dans les contes africains, il y a des histoires d’arbres qui, pour survivre, ramassent leurs racines et se déplacent, parfois très loin, jusqu’à ce qu’ils trouvent une terre et un climat qui leur conviennent. Il s’agit un peu de la même chose pour les adolescents: le terreau familial, qui leur avait permis de se développer jusque-là, ne les nourrit plus suffisamment, ils ont une faim qui ne pourra être satisfaite que s’ils se déplacent, et vont planter leurs racines ailleurs, auprès d’autres personnes qu’elles vont investir…

Aller planter ses racines ailleurs… Cet éloignement, indispensable au jeune pour devenir un être individué, différencié, pour accéder à sa vraie personnalité, certains parents le vivent comme un deuil, une perte: ils ont raison, car ils doivent renoncer à «leur petit», à mon fils, à ma fille; le possessif n’est plus de mise; mais ils ont en même temps tort, car le seul deuil à faire, c’est celui d’un certain mode de relation. Le jeune va vers son indépendance, un jour il va quitter la maison; mais est-ce que cette liberté empêche de rester en lien? Est-ce qu’elle n’est pas, au contraire, la condition d’une vraie et bonne relation?

Laurent Busset, psychologue et thérapeute de famille


Livre de la semaine


  • Tommy – À l’aventure


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