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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Est-ce que nous surprotégeons les enfants ?


Lettre du mercredi 24 janvier 2018 - Source: Echo Magazine



A peine ont-ils le droit d’aller seuls à l’école qu’on leur refile un téléphone portable qui les rend joignables à tout moment. Dur dur, pour les parents d’aujourd’hui, de laisser grandir leurs enfants. Petit, j’allais à l’école primaire tout seul, à plus de 500 mètres de la maison, et je passais des heures dans la forêt à jouer avec mes copains, se souvient Stéphane. Pourtant, je n’ose pas accorder autant de liberté à mes fils.» Ce quadragénaire, père de deux garçons de 6 et 10 ans, est loin d’être un cas isolé. Aujourd’hui, rares sont les parents qui autorisent encore leurs enfants à circuler seuls dans la rue avant l’âge du collège.

Au bout de sa rue
En primaire, seuls 11% des élèves vont à l’école sans être accompagnés par un adulte, selon l’Institut français de la statistique et des études économiques. Et parmi eux, «beaucoup y vont en groupe ou accompagnés par le grand frère ou la grande sœur », relève l’anthropologue Pascale Legué, qui a suivi les déplacements d’enfants dans plusieurs villes. Depuis quelques décennies, le périmètre d’exploration des jeunes s’est réduit comme peau de chagrin. En 2007, William Bird, médecin anglais, a cartographié les déplacements des enfants dans une famille de Sheffield sur quatre générations: à 8 ans, Ed Thomas avait le droit d’aller seul au bout de sa rue, à 300 mètres. Au même âge, sa mère pouvait, elle, se rendre à la piscine à 800 mètres. Quant à ses grands-parents et ses arrière-grands-parents, ils parcouraient entre 1,6 et 9,6 kilomètres.

Le crime en baisse
«La ville a toujours été perçue comme un territoire dangereux, rappelle Pascale Legué. Au 18e siècle, on envoyait déjà les enfants à la campagne pour les éloigner des miasmes. Aujourd’hui, le danger vient surtout de la voiture, dit-elle. La ville n’appartient plus aux piétons, et rien n’est pensé pour les 7-14 ans, les grands oubliés de l’aménagement urbain. Il n’est donc pas étonnant que les parents aient peur de l’accident.» Peur de l’accident mais aussi de la mauvaise rencontre. Marie, la quarantaine, se souvient être tombée plusieurs fois sur des exhibitionnistes alors qu’elle se rendait seule à l’école. «Je ne voudrais pas que cela arrive à mes enfants», souffle-telle. Ces derniers n’ont encore que 6 et 8 ans, mais la maman n’a pas l’intention de les laisser se promener seuls avant leurs 10 ans au moins. «Autrefois, on était un peu insouciants, souvent par ignorance, analyse Béatrice Copper-Royer, psychologue et auteure de Quand l’amour emprisonne (Albin Michel, 2015). Aujourd’hui, on est surinformés. Cela génère beaucoup d’angoisse ainsi que des comportements d’hypervigilance parfois inconscients.»

La surmédiatisation des risques – et des devoirs des parents – donne une vision inquiétante du monde qui ne correspond pas toujours à la réalité. Les statistiques montrent, par exemple, une baisse de la criminalité depuis vingt ans. Quant aux enlèvements d’enfants, ils demeurent très rares et sont le fait, le plus souvent, de membres de la famille ou de proches. «Nos villes n’ont jamais été aussi sûres, affirme même Bruno Humbeeck, psychopédagogue qui a écrit un livre sur l’hyper-parentalité, Et si nous laissions nos enfants respirer (Renaissance du Livre, 2017). Si le monde paraît plus anxiogène, c’est entre autres parce qu’on ne supporte pas l’idée que l’enfant puisse vivre une expérience négative.»

La peur du vaccin
Souvent, le couple parental finit par se méfier de tout ce qui est extérieur à la famille. «Y compris de la nourriture servie à l’école ou des vaccins obligatoires», souligne Béatrice Copper- Royer. Arrive pourtant un moment où les parents sont obligés de lâcher un peu la bride, lorsque l’enfant entre au collège et qu’il refuse d’être accompagné. Une liberté qui reste néanmoins sous contrôle, puisque c’est souvent l’âge auquel le préado reçoit un téléphone portable. Le fait de pouvoir communiquer à n’importe quel moment rassure tout le monde. Mais les nouvelles technologies entretiennent aussi l’anxiété des familles en proposant de plus en plus d’outils (applications, puces et bracelets de géolocalisation) pour surveiller les enfants.

Aller chercher le pain
«Les jeunes doivent répondre aux injonctions paradoxales des parents: ‘Explore, sois autonome, mais reste sous mes yeux’, analyse Bruno Humbeeck. Résultat: ils passent trop de temps devant les écrans, au point que certains parents finissent par les emmener chez un psy.» Aux yeux de Béatrice Copper-Royer, du reste, internet est bien plus dangereux que la rue: «Avec un smartphone, on a accès à des images pornographiques ou violentes. On peut aussi faire de mauvaises rencontres sur les réseaux sociaux». Plus généralement, dit-elle, les parents protègent trop leurs enfants dans certains domaines et pas assez dans d’autres. «Certains leur confient même leurs soucis d’adultes, ce qui peut générer beaucoup d’anxiété chez les enfants.»

En tout cas, si protéger ses enfants reste la première mission des parents, on finit aussi, à trop vouloir les préserver, par les empêcher de grandir. «L’autonomie s’acquiert par étapes, et il faut parfois savoir mettre un mouchoir sur ses peurs ou ses angoisses pour leur permettre d’avancer», insiste la psychologue. Laisser son enfant aller seul à l’école lorsqu’elle est à proximité, ou lui demander d’aller chercher le pain, c’est lui témoigner une confiance qui renforce son estime de soi. «Un enfant trop protégé rechignera à voler de ses propres ailes, dit encore Béatrice Copper- Royer. Je reçois des jeunes de 25-30 ans qui ont du mal à faire des choix et qui se sentent encore tout petits.» Certains adolescents auront même besoin de se mettre en danger pour pouvoir sortir du cocon protecteur. «Enfermés dans des schémas éducatifs, ils vont adopter des conduites à risque pour se frotter à la ‘vraie vie’», prévient Bruno Humbeeck.

Trop désirés
Depuis que l’enfant est désiré, voire programmé, les parents se sentent responsables de tout ce qui peut lui arriver. Une pression qui, selon le psychopédagogue Bruno Humbeeck, aboutit parfois à des excès: «Il y a les parents qui veulent tout contrôler. Ceux qui souhaitent le meilleur pour l’enfant et ne supportent pas qu’il soit triste ou en colère. Ou encore ceux qui entendent infléchir et maîtriser sa trajectoire. Tous répondent à l’in- jonction de la société qui leur demande d’être parfaits et d’assumer seuls, ou presque, la réussite de leurs enfants».

Paula Pinto Gomes/La Croix


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