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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Frères et sœurs ont un lien turbulent


Lettre du mercredi 6 juillet 2016 - Source: Echo Magazine



On ne choisit pas son frère ou sa sœur. Et la coexistence est loin d’être pacifique sous le toit familial ou de longues années après. Apprivoiser les relations fraternelles en vaut pourtant la peine. Les relations entre frères et sœurs ne vont pas de soi. Des expressions telles que «frères ennemis», «le cadet de mes soucis», «trouver l’âme sœur» ou des proverbes comme «Qui n’a pas de frère est manchot» prouvent que ce lien unique suscite toute une gamme de sentiments et d’émotions sauf peut-être l’indifférence.

Depuis Caïn et Abel, la jalousie fraternelle a alimenté de nombreux mythes. C’est l’un des tout premiers sentiments que l’enfant éprouve quand, comme le dit la psychiatre Sylvie Angel, il découvre qu’il n’est pas pour sa mère l’unique objet d’amour. Un enfant de 4 ans peut tenter d’étrangler son petit frère; il peut penser «je veux que tu sois mort et le dire. Les psys sont d’ailleurs unanimes pour conseiller aux parents de «mettre en scène la jalousie fraternelle plutôt que de la taire». Certains enfants doivent pouvoir «écrabouiller» leur frère ou leur sœur en pâte à modeler dans le cabinet d’un psy pour éviter de le faire dans la vie réelle.

Mais c’est aussi un sentiment évolutif, malléable qui nous accompagne toute notre vie. Et même pacifiées, les relations fraternelles doivent être sans cesse reconstruites. On peut partager sa chambre, ses jeux et ses secrets avec un frère et se déchirer au moment de l’héritage, De la même façon, on peut se comporter enfant comme chien et chat et devenir amis à l’âge adulte.

Ni conflits ni fous rires
«Le lien fraternel présente la caractéristique d’être à la fois imposé et choisi, explique Régine Scelles, psychologue clinicienne. Il est imposé par les parents, mais chacun garde la liberté de qualifier ce lien.» Ainsi Marius, 45 ans, avant-dernier d’une fratrie de quatre membres, a coupé les ponts avec deux d’entre eux: «Autour de notre père malade, nous avons maintenu pendant des années un semblant d’unité familiale, évitant soigneusement aussi bien les conflits que les fous rires. Nos rapports stérilisés ont donné lieu plus tard à de violents affrontements. Avec ma petite sœur, nous nous sommes expliqués, nous avons fait un chemin l’un vers l’autre. Par contre, les deux aînés restent des étrangers pour moi.»

Régine Scelles insiste sur le caractère électif de ce lien: on préfère certains frères ou sœurs à d’autres. Et, dans ce domaine, rien n’est jamais acquis. La formation des couples est une étape importante dans la vie d’une fratrie. «L’arrivée d’une pièce rapportée change la donne: si les affinités entre frères et sœurs peuvent se renforcer ou s’atténuer, sous l’influence des belles-sœurs ou des beaux-frères, les animosités sont ravivées», écrit Marcel Rufo dans son livre Frères et sœurs, une maladie d’amour. Si l’on est fâché avec son frère, il y a fort à parier qu’on ne perdra pas une occasion de critiquer sa belle-sœur, ce qui ne fera qu’envenimer les relations.

On se prête la layette
Autre tournant essentiel, le fait de devenir parents. Les naissances donnent souvent lieu à un rapprochement entre frères et sœurs, eux-mêmes parents. On s’entraide, on se prête la layette. Lorsque les fratries se recomposent au domicile des parents, pour quelques jours de vacances, un motif de friction peut venir d’une intervention mal reçue: l’un donne ainsi son avis sur l’éducation que l’autre donne à ses enfants. «Il est difficile d’accepter la critique d’une personne du même niveau générationnel que soi. Et lorsqu’’on est soi-même devenu père ou mère, on a besoin d’être considéré autrement que par rapport à sa place dans la fratrie», explique Isabelle Juès, médiatrice familiale.

Autour de l’héritage
Le vieillissement des parents constitue une autre mise à l’épreuve des relations fraternelles. Un sentiment d’injustice peut réveiller d’anciennes rivalités. Même s’ils s’entendaient bien jusque-là, les frères et sœurs peuvent se reprocher violemment leur attitude sur la façon d’envisager le placement d’un père ou d’une mère dépendante(e). Autre motif de tension, la préparation de la succession. Une donation peut faire ressurgir des conflits liés à la place que chacun pense occuper auprès de ses parents.

Lorsque ceux-ci disparaissent, l’équilibre familial est bouleversé. «Les liens fraternels se rejouent alors dans une nouvelle mise en scène, comme dans une pièce de théâtre où les acteurs se demandent pourquoi ils restent ensemble», observe Ginette Lespine, psychologue. «Au-delà des comptes qui empoisonnent l’existence, recommande la psychothérapeute Nicole Prieur, il faut s’efforcer d’instituer une fraternité, c’est-à-dire une communauté unie et solidaire. Le lien s’organise alors autour de la capacité de chacun à accepter les pertes et les manques afin d’accéder aux bénéfices de cette relation unique. Car être en paix avec mon frère, témoin de mon histoire, c’est être en paix avec moi-même,»

Extrait de la revue Echo Magazine, France Lebreton



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