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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Une grande assiette fait manger plus


Lettre du jeudi 15 septembre 2016 - Source: Echo Magazine



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Il n’y a pas que les humains qui grossissent: nos assiettes aussi ont pris la taille XXL, ce qui favorise l’obésité. De même que d’autres messages et mécanismes psychologiques inconscients. Le pourcentage d’individus en surpoids ou obèses ne cesse d’augmenter. Et de façon galopante. De nombreuses personnes en surcharge pondérale voudraient maigrir, mais les régimes de tout poil s’avèrent presque toujours d’une consternante inefficacité.

Dans nos sociétés, le message dominant est qu’il faut gérer son alimentation, réguler ses envies. Mais tout indique que nous sommes largement incapables d’y parvenir. Pourquoi? D’abord parce que les signaux internes de faim et de satiété sont ambigus. Dans des circonstances normales, il nous est très malaisé de bien les décoder. Nous nous fondons alors fréquemment sur des signaux externes (que reste-t-il dans mon assiette? quelle portion a mangé la personne attablée avec moi?) pour interpréter nos sensations internes.

Manger sans y réfléchir
Autre piège qui sape la rationalité de nos choix alimentaires: l’évolution des modes de consommation. Le peu de temps qui nous est généralement imparti pour manger, en particulier lors de la pause de midi, n’est pas propice à la prise en considération de la composition des aliments consommés. La mode des plats préparés aboutit à la même conséquence. «Peu de consommateurs lisent les étiquettes nutritionnelles et, de toute façon, la grande majorité d’entre eux ne les comprennent pas même s’ils -sont dotés d’un niveau d’éducation élevé», commente Olivier Corneille, professeur de psychologie sociale à l’Université catholique de Louvain (ULB), en Belgique.

Les modes de consommation actuels font aussi la part belle au phénomène de l’«attention divisée». Quand nous prenons un repas devant la télévision ou mangeons des pop-corn au cinéma, notre attention n’est pas orientée vers notre acte de consommation alimentaire. Situation que le chercheur américain Brian Wansink, de l’Université Gomel’, a baptisée mindless eating (manger sans y réfléchir). «L’acte de manger devient alors purement mécanique, automatique», dit Olivier Corneille. Et nous ingurgitons, ingurgitons et ingurgitons encore.

Le poids de la culpabilité
Selon le psychologue, les efforts à consentir sur le plan mental pour gérer son alimentation de façon appropriée sont trop importants. Aussi la plupart d’entre nous éprouvent-ils une fatigue mentale et une perte du sentiment d’auto-efficacité qui les poussent à abandonner le combat. Ils ressentent également de la culpabilité: ils s’en veulent de ne pas réussir dans leur entreprise, ce qui peut les pousser à manger davantage encore pour se réconforter.

Par ailleurs, pour prendre des décisions en matière de consommation alimentaire, beaucoup recourent à des simplifications, des jugements basés sur l’utilisation de règles générales et de croyances. Ainsi, de nombreuses personnes pointent du doigt les repas de fête et autres «grosses bouffes occasionnelles» comme étant de véritables fléaux au plan pondéral. Or, que montrent les études? Que le surpoids et l’obésité résultent principalement d’une accumulation très progressive de petits surplus caloriques quotidiens.

«Les régimes draconiens débouchent presque toujours sur des échecs cuisants alors que des habitudes peu pénalisantes sur le plan du plaisir, comme diminuer légèrement sa ration quotidienne de céréales, de jus de fruits, de chips ou de chocolat, permettent de perdre progressivement des kilos ou du moins de cesser d’en gagner», indique Olivier Corneille. Au cours d’une expérience conduite par Jennifer Harris, de l’Université de Yale, aux Etats-Unis, deux groupes d’enfants regardaient un programme télévisé. De petits biscuits salés étaient mis à leur disposition. Durant l’émission, un groupe était exposé à une publicité pour des Frosties (céréales), l’autre à une publicité pour un jeu.

5 kilos par an
Qu’a-t-on observé? Pour 15 minutes de télévision agrémentées de 30 secondes de pub, les enfants du premier groupe consommaient 28,5 grammes de biscuits alors que ceux du second se contentaient de 19,7 grammes. La différence (8,8 grammes) était donc de 45%. Ce qui, selon l’étude de Jennifer Harris, représenterait un écart de 94 calories pour 30 minutes de TV seulement… et de 5 kilos supplémentaires au bout d’un an.

Un autre élément nuisant à nos capacités de prise de décision rationnelle est l’augmentation insidieuse des portions alimentaires. Encore une fois, les Etats-Unis mènent la danse, mais nous leur emboîtons progressivement le pas. Par exemple, les portions recommandées dans les livres de cuisine y sont supérieures de 25% à celles préconisées en France. Parallèlement, la concurrence que se livrent les fast-foods s’opère essentiellement sur les quantités. C’est ainsi que le volume des repas qui y sont servis a crû de 2 à 5 fois en 20 ans. Quant aux assiettes, leur taille a augmenté de 44% depuis 1980. Et que dire de la taille des verres de soda!

Le rôle de l’assiette
Dans une expérience publiée en 2002, l’équipe de Barbara Rolls, de la Pennsylvanie State University, montre que les participants à l’étude mangeaient 30% de plus de macaronis au jambon et au fromage si leur assiette pouvait en contenir un kilo par comparaison avec une assiette d’une capacité de 500 grammes. D’une autre expérience, il ressort que les individus sous-estiment significativement l’importance des portions qui leur sont présentées et ce d’autant plus que ces dernières sont volumineuses.

Il faut aussi parler des « halos alimentaires », de toutes les représentations erronées qui nous habitent à propos de la nourriture. Par exemple: dans une étude menée en 2011 par Alexandre Chernev, de la North-western University (Etats-Unis), les participants devaient estimer le nombre de calories d’un hamburger selon qu’il était servi seul ou agrémenté d’un légume. Les personnes soucieuses de leur poids évaluaient le nombre de calories d’un simple hamburger à 711, mais à 615 seulement lorsque celui-ci était accompagné d’un produit sain (en l’occurrence, des bâtonnets de céleri). En revanche, chez des personnes sans problème de poids particulier, l’erreur était moins prononcée, les chiffres étaient alors respectivement de 684 et 658 calories.

Fausses croyances
«Nous avons des croyances selon lesquelles manger un aliment sain annihile les effets néfastes des aliments malsains, explique Olivier Corneille. C’est pourquoi des campagnes très mal orchestrées, et dès lors très mal comprises, comme celle qui consiste à conseiller de consommer cinq fruits et légumes par jour, risquent de conduire à une ingestion accrue de calories et de favoriser la prise de poids.» De fait, le discours est ambigu. Combien de fruits? Et de légumes? Une macédoine de fruits fait-elle l’affaire? Et puis, surtout, on peut penser qu’il faut ajouter ces fruits et légumes à son alimentation habituelle alors qu’ils doivent se substituer à une fraction de celle-ci. Sinon, calories supplémentaires garanties! Dans le même ordre d’idées, certains chercheurs se demandent si la multiplication des produits pauvres en graisse n’a pas contribué à amplifier le problème de l’obésité. Se sentant déculpabilisées, les personnes en surcharge pondérale en consomment davantage.

Echo Magazine, Philippe Lambert

 


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