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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

L’adolescence n’est pas une maladie, mais…


Lettre du mercredi 18 mai 2016 - Source: Echo Magazine



Ils se lèvent à midi pour s’affaler sur un canapé, s’emportent ou s’emballent plus facilement, s’enthousiasment ou n’ont plus envie de rien, envoient balader leurs parents ou leur réclament un câlin… Si leur comportement déboussole souvent les adultes, les ados ne sont pas entièrement responsables de ce qui leur arrive: ils doivent faire face à divers chamboulements biologiques et leur cerveau est le siège d’un profond chahut neuronal.

«Il existe deux grandes phases de ‘maturation’ cérébrale: la première pendant la période fœtale et la petite enfance; la seconde à l’adolescence, qui constitue une phase de développement du cerveau au moins aussi importante que la première alors qu’elle est souvent négligée», souligne Jean-Luc Martinot, pédopsychiatre à la Maison de Solenn (Paris) et directeur d’une unité de recherche à l’Inserm, qui explore le cerveau des ados. Son équipe participe à un programme européen (Imagen Consortium) qui suit, en neuro-imagerie, l’évolution d’une cohorte de 2400 adolescents de 14 à 20 ans dans huit villes européennes afin de mieux comprendre comment apparaissent les troubles mentaux.

Les émotions d’abord
A l’adolescence, certaines structures cérébrales subissent des modifications importantes, des circuits disparaissent ou s’affinent. Mais ces processus ne sont pas synchrones. «Les différents étages du cerveau ne se développent pas en même temps », précise Jean-Luc Martinot. Les zones les plus primitives (sous-corticales), sièges des sensations, des émotions et du système de récompense et de plaisir, se développent ainsi en premier tandis que les régions plus élaborées (comme le cortex préfrontal), qui servent un peu de tour de contrôle, s’étoffent plus tardivement.

Ces déséquilibres aident à mieux comprendre certains paradoxes de l’adolescence, comme l’explique le psychiatre David Gourion, auteur d’un livre récent sur la fragilité psychique des jeunes. «Un adolescent de 16 ou 17 ans peut être intellectuellement très brillant, donnant l’impression qu’il est déjà un adulte. Alors que les structures qui servent à inhiber les comportements les plus impulsifs, à réguler les émotions, les rapports aux autres et à mieux anticiper les conséquences de ses actes ont une maturation plus tardive. On ne peut donc pas attendre d’un jeune qu’il se conduise comme un adulte», insiste le psychiatre. Ces découvertes éclairent certains comportements: l’hypersensibilité aux émotions, l’intolérance aux frustrations, la tendance à privilégier les activités procurant un plaisir immédiat, la difficulté à se motiver sur le long terme, la recherche de sensations fortes ou les sautes d’humeur.

Vulnérables au cannabis
Certes, les neurosciences ne prétendent pas cerner toute la complexité du fonctionnement psychique. Elles ne font d’ailleurs parfois que confirmer certaines intuitions. «Là où la psychanalyse voyait un refoulement de comportements impulsifs par la constitution d’un surmoi, les neurologues parlent de structures cérébrales d’inhibition qui se mettent progressivement en place», résume David Gourion.

En plein remodelage, le cerveau des ados est également plus fragile. Il est plus vulnérable aux substances toxiques comme l’alcool et le cannabis. Il est aussi plus sensible aux expériences vécues, à la qualité des interactions avec ses parents et ses pairs, aux carences affectives, au stress. «On a pu observer que des événements de vie négatifs (un deuil, un échec, une rupture amoureuse) pouvaient laisser des empreintes durables sur certaines régions cérébrales», précise Jean-Luc Martinot.

L’adolescence et le début de l’âge adulte sont également la période de la vie où apparaissent la plupart des pathologies psychiques. Alors que leurs circuits cérébraux se réorganisent, certains peuvent s’avérer peu fiables. Parmi les ados suivis par l’équipe du docteur Martinot, «entre 20 % et 25 % présentaient des signes de troubles mentaux à 14 ans. Pour une petite partie d’entre eux, ces troubles se sont avérés passagers, mais pour la majeure partie, ils se sont aggravés avec le temps», souligne le psychiatre, rappelant l’importance «de ne pas négliger les premiers signes inquiétants (l’isolement, la déprime) pour pouvoir intervenir le plus précocement possible».

Il n’est pas facile néanmoins de savoir à partir de quand il faut s’inquiéter. Près de la moitié des adolescents présenteraient en effet, selon Marie-Odile Krebs, psychiatre et codirectrice du Centre de psychiatrie et neurosciences (Inserm), des «symptômes psychotiques atténués»: apathie, manque de motivation, sautes d’humeur, difficulté à prendre soin de soi, à s’exprimer, impression de déjà-vu, etc., qui ne présagent pas forcément d’une maladie mentale, mais sont simplement les effets de remaniements cérébraux «normaux».

Si l’adolescence n’est pas une maladie, il vaut mieux néanmoins, entre 15 et 25 ans «prendre soin de son cerveau», résume David Gourion. En évitant de le malmener avec des substances toxiques et en le stimulant par un environnement social positif. La qualité des relations que le jeune noue avec les autres, ses copains, mais aussi ses parents, joue un rôle fondamental.

«L’environnement, les interactions sociales, ont une importance majeure pour favoriser un développement harmonieux et prévenir les comportements à risque», souligne le docteur Martinot. Marie-Odile Krebs insiste sur la nécessité, pour les adolescents, d’être entourés d’adultes attentifs formés à repérer ce qui va mal et faisant preuve à leur égard de davantage de bienveillance.

Christine Legrand/La Croix


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