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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

L’art de la conversation en famille


Lettre du jeudi 5 mai 2016 - Source: Echo Magazine



A la table familiale, on pratique l’art de la conversation. La psychologie et son lot de manuels à l’usage des parents sont passés par là, vantant les mérites du dialogue familial à longueur de best-sellers. Celui-ci suppose en effet le respect des opinions, l’écoute réciproque, le partage d’arguments; il permettrait à l’enfant de s’ouvrir à la diversité des points de vue et donc au monde, soulignent psychologues et pédagogues.

Apportant une nuance dans le concert de louanges, le psychologue Didier Pieux invite à ne pas tout mélanger. «Ecouter la parole de l’enfant n’a jamais signifié le laisser donner son avis sur tout. Un enfant n’a pas à choisir la couleur de la voiture familiale. Il ne faut pas expliquer pendant deux heures pourquoi manger des brocolis! La psychologie est parfois mal comprise. En fait, l’enfant a besoin d’adultes solides qui écoutent ses émotions et l’aident à les formuler pour éviter qu’elles ne se rangent mal, pas d’adultes qui le laissent mettre son grain de sel dans tout.»

Le boulot des parents
Un brin provocateur, Didier Pieux incite même les parents à être directifs. «Leur boulot» serait de distribuer la parole, par exemple pour qu’un enfant extraverti et bavard ne prenne pas toute la place au détriment d’un frère ou une sœur plus réservé. Ils peuvent aussi imposer certains sujets de conversation. «Par exemple, si un ado évite les sujets liés à la scolarité, il faut insister, s’assurer que le message passe, même si ce n’est pas agréable d’obtenir des `mouais’ pour toute réponse, insiste-t-il. La conversation n’a pas à être plaisante tout le temps.»

Dans cette perspective, il reste particulièrement important de consacrer du temps aux vraies conversations. De faire de la place pour le plaisir des mots dans des agendas souvent surchargés. «La vie de famille consiste trop souvent à faire des choses ensemble plus qu’à se parler. Or faire du VTT le week-end ou aller au cinéma n’est pas en soi un moment de dialogue. Cela peut certes déboucher sur des conversations intéressantes, mais cela ne va pas de soi.»

Ce discours paraît un peu à contre-courant d’une société qui, internet aidant, vante la connexion permanente et la communication tous azimuts sur des portables jamais éteints. A longueur de forums, groupes de discussion et réseaux sociaux, l’internaute est invité à la conversation. Celle-ci semble sans limites et l’on se parle désormais d’un bout à l’autre de la planète.

La webcam à table
Parfois pour le meilleur. «Quand ma fille est partie en Angleterre, pendant quelques jours, nous avons installé la tablette à table et nous avons discuté avec elle par webcam interposée pendant le dîner, presque comme si elle avait été réellement à table avec nous. Cela nous a fait du bien à tous», témoigne une maman.

Pourtant, les adultes sont partagés sur les effets des écrans sur les relations sociales. Près de la moitié d’entre eux estiment que les nouvelles technologies ont un impact négatif «sur les relations humaines en général», comme l’a montré un sondage Ipsos pour Microsoft réalisé auprès de 2000 Français âgés de 16 ans et plus en février. En ligne, les conversations seraient moins profondes. Surtout, le langage des internautes est «peu articulé et s’affranchit de toute grammaire. Il n’est souvent que l’expression d’une émotion immédiate, mais jamais de la complexité», observe Benjamin Simmenauer, du cabinet HCK.

Une école trop verticale
La conversation authentique serait à l’inverse une façon d’apprendre à penser dans la nuance. L’école devrait ainsi s’en saisir davantage, estiment certains pédagogues. Le système scolaire français est accusé d’être trop vertical, de ne pas donner assez de place au questionnement ni au débat. Les bons résultats des universités anglo-saxonnes dans les classements mondiaux sont d’ailleurs souvent expliqués par la capacité qu’elles laissent aux étudiants d’interpeller leurs professeurs.

«Depuis son plus jeune âge, l’enfant apprend en posant des questions. Dont les fameux et incessants ‘pourquoi?’», fait ainsi remarquer François Taddei, directeur du Centre de recherches interdisciplinaires, militant de l’innovation éducative. «Or il est triste de constater que 4 ans est le pic de curiosité des enfants. Qu’ensuite celle-ci s’émousse. Le jour où l’école évaluera ses élèves sur leur capacité à poser des questions plus que sur leur capacité à y répondre, on ira vraiment dans la bonne direction», rêve-t-il. Trop souvent, les adultes se sentent remis en cause dans leur autorité si les élèves expriment une parole personnelle. «Il faut arrêter de se faire des complexes!, implore François Taddei. Etre pertinent c’est bien, mais comprendre le monde suppose aussi une certaine impertinence.» Qu’on se le dise…

Le babillage vu d’ailleurs
Chez les Lapons du nord de la Suède, les mots sont rares. Partager un moment de silence est une marque de complicité et d’attention réciproque. Il peut se passer plusieurs minutes entre une question et sa réponse. Au total, en une heure, seuls cinq ou six échanges ont lieu en moyenne.

En Afrique, aucune discussion, y compris la plus anodine, ne peut commencer sans qu’aient été posées les questions rituelles: «Comment allez-vous? Et votre famille? Et vos enfants?». Ce temps de prise en compte de l’autre est obligatoire pour créer un climat d’échange.

En France, le débit de parole est rapide. Les Américains, par exemple, ont en moyenne un tempo plus lent. Aussi ont-ils souvent l’impression que les Français leur coupent la parole.

Dans les pays anglo-saxons, la liberté d’expression règne. A la Révolution française, on comptait 100 cafés à Paris contre 2000 à Londres. Les lieux consacrés à la conversation et la liberté d’expression qui y règne sont donc une tradition solide. Aujourd’hui encore, on trouve dans les parcs londoniens des « speakers’corners » où chacun peut haranguer la foule. Des associations proposent aux passants des conversations impromptues sur un bout de canapé.

Emmanuelle Lucas/La Croix


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