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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Le criquet peut être la vache de demain

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Lettre du mercredi 1 octobre 2014 - Source: Extrait de Echo Magazine, propos recueillis par Christine Mo Costabella



Les patates étaient poison, pensait-on à leur arrivée en Europe, et les lasagnes de bœuf à la viande de cheval ne sont pas une première. Les aliments les plus communs ont leur place dans l’histoire de la médecine, explique le professeur Alexandre Wenger. La patate transmettait la lèpre et le citron soignait la peste, pensait-on lors de leur introduction en Europe. Le Coca-Cola et l’Ovomaltine ont été inventés au 19e siècle par des pharmaciens; les liens entre la médecine et l’alimentation sont nombreux, en témoigne une exposition itinérante de l’Université de Fribourg. Entretien avec un de ses concepteurs, le professeur Alexandre Wenger.

Pourquoi une exposition sur les aliments dans la médecine?

Alexandre Wenger: – L’idée était de prendre des aliments très communs, comme le haricot ou la tomate, et de montrer qu’ils sont plus intéressants qu’il n’y paraît, que leur histoire médicale a été mouvementée. Ou de prendre, au contraire, des objets étonnants, comme la corne de licorne ou la pierre de bézoard, pour voir ce qu’ils disent de nos croyances et de l’état des connaissances de la médecine à différentes époques.

Comment la patate ou la tomate, qu’on imaginait nocives, sont-elles devenues des aliments de base en Europe?

– Quand Christophe Colomb les a ramenées des Amériques, les botanistes les ont regardées avec suspicion. Toutes deux font partie des solanacées, qui contiennent une certaine toxicité. Les médecins s’y sont intéressés pour leurs remèdes au même titre qu’au venin de scorpion. Pour qu’elles garnissent nos assiettes, il a fallu l’influence de personnes convaincues, comme Antoine Parmentier, pharmacien militaire, qui a vu dans la pomme de terre le pain du pauvre.

Quand se développe une approche scientifique des effets de la nourriture sur la santé?

– On a parfois l’impression que les anciens croyaient n’importe quoi alors qu’aujourd’hui on pourrait tout mesurer de manière claire et précise. Les choses ne sont pas si simples! Il existe encore de nombreuses croyances, comme les régimes anticancéreux, très controversés dans les milieux scientifiques, ou les alicaments, ces aliments censés favoriser la santé (yoghourt au bifidus, chocolat au collagène,…). Contrairement aux médicaments, ceux-ci ne passent pas une série de tests avant d’être mis sur le marché. Leur efficacité est postulée par la publicité des firmes agroalimentaires. De l’autre côté, les anciens essayaient déjà de tester rationnellement l’efficacité de tel ou tel produit pour lutter contre les maladies.

Comment s’y prenaient-ils?

– Des condamnés à mort servaient parfois de cobayes: le célèbre chirurgien Ambroise Paré raconte, au 16e siècle, comment un cuisinier eut le choix entre être pendu ou se prêter à une expérience. Il devait boire un poison, puis avaler de la poudre de pierre de bézoard, prétendument miraculeuse, pour voir si elle était un antidote. Il mourut dans d’atroces souffrances et on oublia le remède miracle…
De manière moins violente, les soldats servaient aussi à des expérimentations. Les premiers tests cliniques modernes ont été effectués dans la marine militaire britannique au 18e siècle. Pendant les traversées, les marins souffraient du scorbut, une carence en vitamine C qui provoquait notamment le déchaussement des dents. Pour savoir quels aliments pouvaient remédier à ce mal, on a donné du vinaigre à un groupe et des agrumes à l’autre, constatant les bienfaits de ces derniers sur les marins.

Aujourd’hui, on nous propose de plus en plus de régimes: sans gluten, sans lactose, végétariens,…Comment situez-vous ce phénomène dans l’histoire de l’alimentation?

– C’est une caractéristique de la modernité. Dans une agriculture de subsistance, la crainte principale était celle du manque. Aujourd’hui on croule plutôt sous un trop-plein de nourriture pas forcément de bonne qualité. La crainte s’est déplacée sur l’aliment malsain. Ce qui a fait émerger tout un tas de théories, dont le régime sans gluten, qui séduit de nombreuses personnes – y compris de grands sportifs comme Novak Djokovic – même si certains scientifiques le classent parmi les croyances alimentaires. Cette multiplication de théories est un luxe de riches: quand on meurt de faim, on ne se pose pas ce genre de questions!

Quelle est l’alimentation du futur, notamment face au problème croissant de l’obésité?

– Pour l’obésité, le problème n’est pas seulement lié à la nourriture. Toutes sortes de facteurs favorisent cette épidémie, comme les perturbateurs endocriniens présents dans les produits chimiques avec lesquels on traite le parquet ou la moquette. Mais l’alimentation du futur ne doit pas être trop gourmande en ressources naturelles et doit nourrir beaucoup de monde. Les insectes sont à cet égard prometteurs: un criquet pèlerin, par exemple, n’émet pas de méthane, contrairement aux bovins; il mange des branches sèches, ne nécessite pas de prairies irriguées pour son alimentation; son élevage prend peu de place, ce qui libère des pâturages pour la production de céréales, et on peut le manger intégralement. C’est peut-être lui la vache du futur!



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