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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

«Les parents n’ont jamais l’enfant rêvé»


Lettre du jeudi 6 décembre 2018 - Source: Echo Magazine



Interview de Dr Marcel Rufo à propos de son Dictionnaire amoureux de l’Enfance et de l’Adolescence.

«Les parents n’ont jamais l’enfant rêvé» Et les enfants n’ont jamais les parents qu’ils souhaitent. Mais tout ce beau monde doit vivre ensemble. Première étape: survivre à l’adolescence, dit le pédopsychiatre Marcel Rufo dans un livre.

Lorsque l’enfant paraît, nous voici bien désemparés: à l’enfance, des pleurs; à l’adolescence, des crises; entre les deux, toutes sortes de maux. Pourtant, nous ne sommes pas les premiers parents de l’histoire: l’événement s’est produit, grosso modo, quelques milliards de fois avant nous. Le pédopsychiatre Marcel Rufo, 73 ans, fort d’une longue expérience de clinicien, publie le Dictionnaire amoureux de l’enfance et de l’adolescence (Plon). A une époque qu’il qualifie souvent de narcissique, il donne aux enfants des raisons d’espérer et aux parents des moyens de survivre.

Vous citez un des pères de la psychiatrie des enfants et des adolescents, Donald Winnicott (1896-1971), qui a dit un jour à des parents venus le consulter: «La seule chose que peuvent faire des parents d’adolescents, c’est survivre». Marcel Rufo: – Oui, c’est génial! Winnicott avait un adolescent très complexe en consultation. Il met en évidence un trouble de la confiance en lui. La consultation se termine, Winnicott se tourne vers ses parents et dit: «Je le reverrai volontiers, mais je crois que nous sommes d’accord sur le diagnostic et l’origine du problème». Le père se rassied et dit: «Oui, oui, Monsieur Winnicott, mais lui, ce soir à la maison, il sera terrible!». Winnicott leur répond: «Je suis d’accord avec vous, il faut survivre».

Vous dites que les parents doivent être les supporters de leur enfant quelles que soient les difficultés rencontrées… – Supporter, c’est un mot que j’adore. Qu’est-ce qu’un supporter? C’est quelqu’un qui soutient le club qu’il s’est choisi malgré tous les aléas de la compétition. Quand le club gagne, qu’il soulève le bouclier de Brennus (symbole du champion de France de rugby, ndlr), c’est facile d’être supporter, n’importe quel couillon peut l’être! Mais le supporter authentique est là quand le club perd et que l’équipe s’enfonce! Même s’il y a la défaite au bout, il faut être capable de dire à son enfant: tu t’es bien battu!

Pourtant, parfois, le découragement guette: quand nous avons l’impression que l’enfant renie les valeurs que nous avons essayé de lui transmettre…
– Oui, mais vous ne croyez pas que dans notre vie, nos enfants servent à refaire nos enfances? Les pauvres gosses: ils doivent réussir là où nous avons échoué. On dirait qu’ils sont mandatés pour guérir nos propres enfances, qu’ils sont posés comme un pansement sur le passé.

Vous dites aux parents qu’il faut accepter l’enfant réel et faire le deuil de l’enfant rêvé…
– Les parents n’ont jamais les enfants dont ils rêvent et les enfants n’ont jamais les parents qu’ils méritent. La vie est mal faite! Imaginons… Vous êtes le père d’une fille qui travaille bien en classe, qui sait que vous aimez l’opéra, qui vous invite un jour à Vérone pour écouter La Traviata sur la piazza Bra. A côté, vous avez un fils qui fume du haschich, qui vous vole votre carte de crédit et qui fait des phobies scolaires. Et vous, en tant que père, vous dites que vous les aimez tous deux de la même manière! Ouais, ouais… Il faut avoir l’honnêteté de dire que ce fils n’est pas celui dont vous aviez rêvé et qu’il vous casse les pieds. Le drame, c’est que ce garçon le sait. Il sait qu’il ne remplit pas le mandat intergénérationnel. Et il est capable de passages à l’acte suicidaire ou d’agressivité envers ses parents parce qu’il est blessé dans son image narcissique. C’est pourtant avec les enfants difficiles qu’il faut se montrer les meilleurs parents, pas avec les enfants faciles.

Vous dites qu’être adulte, c’est pardonner à ses parents…
– Il faudrait même être capable d’apprécier les défauts de ses parents. Moi, j’avais deux parents assez différents: une mère un peu loufoque, originale, dispersée, pas vraiment fiable; un père obsessionnel et rigoureux. Ils avaient deux défauts et j’ai bien accepté ces deux personnalités opposées. Mon père est mort en 1992, ma mère en 2000. Notre relation s’améliore aujourd’hui encore. J’ai fait des progrès. Je reviens sur des aspérités de leur caractère que je n’avais pas acceptées de leur vivant.

Vous êtes partisan d’une certaine rigueur dans l’éducation? Vous dites: «Grondez-les!».
– Je crois que les enfants doivent être confrontés à la frustration. Aujourd’hui, les parents se veulent séducteurs: ils entendent plaire à leurs enfants. Mais ils ne sont pas là pour ça: ils sont là pour défendre leurs idées et leur vision du monde quitte à être contestés au moment de l’adolescence. Là, ils passeront du rôle de parents à celui de syndicalistes chargés de débattre. Ensuite, en tant que grands-parents, ils seront tranquilles: ils contempleront leurs propres enfants dans les difficultés de l’éducation. J’insiste aussi sur la politesse et la galanterie. La politesse, c’est un signe de sociabilité.

Vous montrez aussi qu’entre frères et sœurs, ce n’est pas l’amour qui domine, mais la rivalité!
– La jalousie, oui. Savez-vous que Jean-Claude Killy avait un frère qui skiait mieux que lui? Tout le pays dit que le frère aîné skie mieux que le triple champion olympique! C’est extraordinaire. En tant que parents, il faut accepter cette rivalité dans les fratries. Je le dis en tant qu’enfant unique et père d’une fille unique. J’ai très bien vécu cette situation. J’ai été obligé de me trouver des amis avec qui je pouvais nouer des relations fraternelles, sans rivalité puisque leurs parents n’étaient pas mes parents. C’était impeccable, vive les enfants uniques!

Vous dites aussi que l’enfant parle avec son corps…
– Oui. Je suis fan de la sophrologie, de la médiation corporelle, de l’hypnose.

Mais tous les symptômes ne sont pas l’expression d’un malaise psychique?
– Non. On parle de maladies psychosomatiques; il serait plus juste de parler de somato-psychique. Je m’explique: si tu as une tendance à faire de l’asthme, il faut être doté d’asthme pour déclencher une crise sur fond d’anxiété. Il ne faut pas croire que la psychologie va créer l’asthme. Je suis plutôt organiciste sur ce plan-là. Par contre, le corps peut exprimer des tensions psychiques. La douleur, par exemple, est très subjective. La fibromyalgie est un casse-tête pour les internistes: les douleurs sont là, mais comment les évaluer? La psychosomatique chez le bébé est passionnante: dans L’enfant et son corps (1974), Fain, Soulé et Kreisler disent que l’enfant, en ayant de la fièvre, en régurgitant, communique. Un enfant qui n’a pas les mots est bien obligé de parler avec son corps. On voit ce qui se passe à la crèche avec les enfants mordeurs: dès que le langage arrive, ils ne mordent plus. Mais vous avez raison: tous les symptômes ne sont pas le résultat d’un malaise profond.

 

Nous vivons un bouleversement de la structure familiale: familles monoparentales, recomposées, couples homosexuels,… Marcel Rufo écrit que «les familles monoparentales constituent la majorité des consultations». Il s’explique: «Mes statistiques ne sont pas représentatives: dans ma pratique, je ne vois que les enfants qui vont mal. C’est la même chose pour les enfants adoptés: ceux qui vont bien, je ne les vois pas! Dans une famille, lorsque l’enfant grandit, le père doit remplir le rôle du tiers séparateur: c’est celui qui «défusionne», qui assure une différence. Il faut que quelqu’un tienne ce rôle. Il peut être joué par un grand-père, un compagnon, un ami, un oncle,… Le biologique ne joue aucun rôle. D’autant qu’à Marseille, dans 8% des cas, le troisième enfant n’est pas du père présumé. Mais je ne parle que de Marseille (rires). La femme seule redoute le départ de son enfant, mais un enfant doit partir, c’est dans l’ordre des choses. Je constate que les enfants souhaitent toujours que le couple se reforme quand bien même ils ont vécu les conflits et les tensions d’une relation condamnée. Dans une séparation, l’enfant prend toujours le parti du plus fragile. Il soutient toujours le combat du plus faible pour restaurer l’image parentale: il veut des parents forts».


Livre de la semaine


  • Dictionnaire amoureux de l’Enfance et de l’Adolescence


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