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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

La médiation: un moment de rencontre avec ses émotions et celles de l’autre


Lettre du jeudi 11 janvier 2018 - Source: Couple et Famille



Parler d’émotion revient à parler de ce qui nous fait vibrer au plus profond de nous-mêmes et que l’on n’a pas nécessairement envie de voir ou de montrer. Il y a dans l’exposition d’une émotion une part d’intimité et de pudeur. Je ne sais pas vous, mais le fait d’être submergé par une émotion intense devant un film, un concert, la naissance d’un enfant, la rencontre avec un ami ou tout autre événement peut procurer dans la foulée des sentiments agréables (joie, surprise) et aussi désagréables (gêne, peur). Puis, avez-vous déjà essayé de nommer cette émotion qui vous traverse? Êtes-vous plutôt heureux, satisfait, euphorique ou encore joyeux? Ou à l’inverse êtes-vous plutôt triste, paniqué, stressé, agacé, frustré, blessé ou encore déçu?

Il est bien souvent difficile de mettre en mots ce qui ne se dit pas mais se vit. Les larmes coulent, l’on ressent une boule au ventre ou le corps est tétanisé; voilà des expressions du corps qu’il peut être difficile de décrypter. En ce sens, les émotions sont multiples, complexes, impalpables, parfois incompréhensibles. Leurs effets le sont tout autant. L’écrivain Antoine Audouard donne cette image: «Dans le palais des émotions, il y a beaucoup de chambres ». J’ajouterais qu’il y a plusieurs étages et des sous-sols que l’on a tendance à oublier de peur de s’y aventurer.

Une danse millimétrée
Et pourtant. Dans une situation de haut conflit, nous pourrions dire que le cerveau a tendance «à se déconnecter » au profit de réactions «primaires » : on agit en criant, en jurant, en tapant, d’une manière bien différente que d’habitude. Et souvent, cela fait naitre des regrets par la suite. Dans un tel contexte, l’humain est parfois méconnaissable. J’entends en séance l’un dire à l’autre « je ne te reconnais pas quand tu t’énerves, tu es si doux d’habitude». Face au danger, quelle réaction adopter? La fuite (bien pratique pour autant que l’on court vite), la tétanie (au risque de ne pas se relever) ou la bagarre (pour autant que l’on soit costaud ou que l’on ait du répondant).

Cette réaction peut ne pas être réfléchie (on le voit dans les attentats par exemple). Garder la tête froide, relève alors du miracle. Dans le domaine familial, il semblerait que les scénarii se répètent. Face à des violences domestiques, l’auteur, la victime ou le témoin rejouent les mêmes réactions. Alors, sans en arriver à de la violence, vous êtes-vous déjà observé lorsque vous n’êtes pas d’accord avec votre conjoint, votre enfant, votre collègue, votre voisin ou vos beaux-parents? Il est fort probable que vous sachiez où et comment lancer des «piques » à l’autre. Pourquoi? Sans doute dans un but de le faire réagir, de vous protéger d’un danger réel ou imaginé et de lui rappeler que vous existez.

Le médiateur familial est donc un témoin privilégié de ces phénomènes. Face à lui, s’opère une danse millimétrée, comme si la scène avait été jouée de multiples fois. Les reproches et autres incompréhensions surgissent aux mêmes moments, pour les mêmes sujets, avec la même violence. Le temps semble figé et les acteurs du conflit sont épuisés par la ré- pétition stérile des répétitions. Les enfants témoins assistent au conflit, impuissants de voir leurs parents butter comme dans une impasse sans réussir à résoudre leurs différends.

En reprenant les notes de dernières séances, j’ai tenté de relever les émotions que les parties ont nommées. En voici quelques-unes: l’inquiétude, la colère, le stress, l’incompréhension, l’angoisse, la frustration, le sentiment de trahison, la tristesse. Il y a une émotion qui est souvent difficile à nommer et qui n’apparait que tardivement : la peur. Si la peur n’apparaît pas tout de suite, c’est sans doute qu’elle fait appel à ce qu’il y a de plus profond en nous. Reconnaissons également qu’elle est qualifiée de désagréable depuis le plus jeune âge et que l’adulte cherche à la relativiser ou l’interdire: la peur du noir, la peur d’un inconnu, la peur d’un copain, la peur de rater, de perdre quelque chose, la peur pour ses enfants, peur pour ses parents, la peur de passer pour un faible, peur de mourir, etc.

Quel est donc le bénéfice à l’expression de ses émotions ?
En partant du principe que ressentir des émotions est source de vie, j’aurais tendance à considérer les émotions de manière positive. Comme le souligne Géraldine Coppin que nous interviewons dans cette Gazette, chaque émotion a une fonction. Elle est donc utile pour la personne. Reste à définir en quoi elle peut être utile. Une émotion peut déclencher un acte, un agissement vital qui aura donc un impact positif ou négatif. L’émotion empêche donc l’immobilisme, elle est une source d’énergie. Il s’agit donc d’en faire quelque chose.

Les expériences tendent à montrer que, pour diminuer le niveau de violence et/ou de conflit, la verbalisation de ses émotions ou la capacité à pouvoir nommer ses ressentis serait un facteur clé. En médiation, la reformulation est un outil utilisé pour permettre aux parties de s’écouter tant sur le contenu factuel que sur les émotions. En reprenant les mots de la personne, nous faisons le pari qu’il pourra mieux les affiner et les corriger si besoin. Ainsi, une personne qui exprime de la colère, pourra, en s’entendant, parler plutôt de jalousie ou de peur, par exemple.

En France, au Canada ou à Genève par exemple, des écoles offrent de plus en plus aux enfants des méthodes de résolution de conflits comme « les messages clairs » (« ce que tu m’as fait, m’a fait souffrir. J’ai besoin de te faire un message clair. etc. »), des outils de communication non-violente, la médiation par les pairs ou l’intervention de médiateurs scolaires. Les résultats sont réels, la coopération et le climat de classe s’améliorent. De nombreux ouvrages plus ou moins ludiques expliquent l’impact des émotions et donnent des outils concrets. Ils sont destinés tant aux enfants, qu’aux parents ou aux professionnels. Derrière des processus ou des phrases types, il y a une portée pédagogique pour permettre aux enfants d’apprivoiser leurs émotions en les identifiant mieux. Le pari est qu’à l’âge adulte, les conflits soient mieux appréhendés et gérés à l’amiable : une société qui communique mieux.

Mettre de l’énergie pour résoudre des conflits
Si réussir à mettre en mots ses émotions apaise des tensions, Mme Coppin évoque également l’impact du sommeil sur la régulation des émotions ainsi que le contact physique entre les personnes (prendre l’autre par la main ou le serrer dans ses bras). Il y a donc des petites choses qui permettraient de mieux vivre ensemble.

Enfin, nul besoin de rappeler la difficulté pour un couple de venir en médiation. Il s’agit d’une démarche couteuse en énergie et exigeante pour parler entre autre, de ce qui ne fonctionne pas dans le couple. Elle met en lumière un réel défi : être capable d’empathie ou de conciliation alors que la colère ou la volonté de mise à distance prédomine. Un paradoxe qui consiste à se rapprocher pour mieux se séparer !

La médiation autorise les émotions, mieux, elle tente de les identifier de manière fine pour les libérer. Un conflit larvé est bien souvent un conflit où l’un, l’autre ou les deux parties vivent des peurs intenses, comme de perdre quelque chose. Et bien souvent, ces peurs n’ont pas lieu d’être ou méritent d’être dites pour être décodées. Enfin, il y a souvent en médiation un acteur que l’on ne rencontre pas : l’enfant qui assiste aux disputes. Il est de la responsabilité parentale de le protéger. Et qui sait, de lui transmettre en cadeau des outils utilisés en médiation qui lui permettront de gérer des conflits futurs.

Pierre-Alain CORAJOD


Livre de la semaine


  • Quand nos émotions nous rendent fous


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