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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Est-il possible d’oublier sa langue maternelle ?


Lettre du mercredi 24 mai 2017 - Source: Echo Magazine



Adopté après avoir déjà appris une langue, expatrié de longues années dans un pays étranger: que reste-t-il de sa langue maternelle? Le point avec Brigitte Eisenkolb, docteur en linguistique et psychologie cognitive.

La langue maternelle est-elle exclusivement la langue parlée par la mère?
Brigitte Eisenkolb: – Oui, c’est le sens de l’expression. La mère est normalement le premier individu qui interagit avec l’enfant. Et même lorsque ce n’est pas le cas, pour de multiples raisons, on parle toujours de langue maternelle.

Dans une famille bilingue, suffit-il d’entendre sa mère parler sa langue maternelle de façon épisodique pour l’acquérir?
— Tout dépend de la fréquence, bien sûr, mais entendre un parent parler sa langue maternelle suffit pour l’apprendre. J’ai à l’esprit l’exemple d’une famille dont la mère est Française et le père Allemand. Ils vivent en Allemagne et parlent chacun dans leur langue à leur enfant, mais échangent en anglais entre eux. L’enfant, lui, leur répond toujours dans la langue de l’environnement, plus bénéfique pour lui et plus «économique» sur le plan cognitif, puisqu’elle lui permet de communiquer avec ses petits camarades. Il a aussi développé un intérêt pour l’anglais, la «langue secrète» des parents. Pourtant, une semaine de vacances en France, chez ses grands-parents, a suffi pour qu’il parle le français sans accent. Cet enfant a appris le français de manière implicite, en baignant dans un environnement culturel et linguistique. C’est le meilleur contexte pour acquérir une langue, bien plus efficace qu’un apprentissage explicite par la grammaire.

Peut-on oublier sa langue maternelle?
— On peut en partie oublier sa langue maternelle, si on la parle rarement. Personnellement, j’ai parfois eu des difficultés à m’exprimer en allemand lorsque je vivais en France. Le fait d’être immergé dans un autre contexte social et linguistique peut entrainer une érosion de la langue maternelle. La langue de l’environnement devient dominante et on a du mal à retrouver les mots. Il ne s’agit pas vraiment d’un oubli, mais d’un accès moins rapide au vocabulaire, la nouvelle langue entraînant une réorganisation cérébrale. Selon Michel Paradis, moins on pratique une langue et plus le seuil d’activation des éléments linguistiques est élevé. C’est un peu comme lorsqu’on range des vêtements d’hiver et que la saison suivante on ne se souvient plus où on les a mis — mais ils sont toujours là. La langue maternelle peut toutefois s’oublier totalement dans certains cas pathologiques ou lorsqu’elle est parlée peu de temps. Une étude (Pallier et al., 2003) menée avec des jeunes adultes coréens adoptés en bas âge par des couples français, a démontré qu’ils n’avaient plus aucune notion de leur langue maternelle. Ils réagissaient au coréen comme à une langue étrangère.

Que se passe-t-il lorsque des parents abandonnent leur langue maternelle pour une meilleure intégration dans un pays d’accueil ? Cette langue finit-elle par disparaître?
— J’ai connu plusieurs familles italiennes dans le sud de la France qui ne voulaient pas parler italien à leurs enfants pour faciliter leur intégration. Ils ne le pratiquaient qu’entre eux, en cachette. Leurs enfants ont appris quelques mots, mais ne sont pas devenus bilingues. La pratique de la langue a donc a disparu. Par la suite, j’ai eu connaissance de cas d’Alzheimer chez d’autres familles italiennes, qui avaient fait le même choix éducatif, où les parents avaient fini par oublier le français, langue qu’ils parlaient avec leurs enfants, mais pas l’italien. La langue maternelle est, en effet, enregistrée dans le noyau cérébral alors qu’une langue étrangère est intégrée dans ce qu’on appelle la périphérie. Et c’est le transfert de l’un à l’autre qui permet l’expression dans une langue apprise. Or, dans ce cas, la maladie ne permettait plus cet échange et les personnes n’étaient plus capables de parler le français mais seulement l’italien, leur langue natale.

Extrait de Echo Magazine, propos recueilli par Paula Pinto Gomes/La Croix

 


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