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Elever des enfants

Pourquoi le filles raffolent des selfies ?

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Lettre du mercredi 19 novembre 2014 - Source: Extrait de Echo Magazine, Christine Mo Costabella



Non, la «selfitis» n’est pas une maladie répertoriée par l’Association américaine de psychiatrie consistant à se photographier avec son téléphone portable à longueur de journée.

La nouvelle a beau avoir circulé sur le web, elle provient d’un site d’informations humoristique sur lequel «tout est basé sur des faits réels, exceptés les mensonges». Pour autant, la pratique du selfie (ou égoportrait pour les Québécois) n’est pas tout à fait anodine, comme l’a souligné une récente campagne de Pro Juventute. Pour rappel, un selfie est une photo que l’on prend de soi-même au moyen d’un smartphone, généralement pour la partager sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Tweeter. Si la pratique a été adoptée par les plus grandes stars et même par les politiques (le Conseil fédéral est depuis juillet le premier gouvernement au monde à s’être retrouvé au grand complet sur un selfie), elle est née d’abord chez les adolescents.

«On se compare»

Ce sont eux, justement, que Pro Juventute veut mettre en garde. Une enquête de la fondation menée sur 1000 jeunes âgés de 15 à 19 ans révèle que 22% des adolescents suisses se sentent plus ou moins fortement «déstabilisés» en regardant les selfies que les jeunes de leur âge postent sur internet. La raison? En comparaison, leur propre vie leur paraît moins intéressante. «Moi, ça ne me met pas la pression, mais c’est vrai qu’on se compare, explique Anna-Belle, une élève de 14 ans du cycle d’orientation de la Veveyse, à Châtel-Saint-Denis. Certaines personnes postent des photos pour se la péter, pour dire: ‘Moi j’ai fait ça et pas vous’. Il y a des gens qui prennent ça très au sérieux, d’autres qui s’en foutent.» La mode incite à se photographier pour montrer à ses amis où l’on est allé en vacances, quelle star on a croisée dans la rue (le selfie remplace désormais l’autographe), avec qui on passe la soirée, quelle bêtise on est en train de faire ou, tout simplement, sa nouvelle coiffure ou son humeur du moment. Le selfie détrône le sms, déjà ringard: «C’est swag», résume Léa, 13 ans, signifiant par-là que ce mode de communication est très tendance. «C’est un peu un effet de mode: on poste des photos parce que les autres le font, c’est le principe», confirme Laure, 15 ans.

Combien de «j’aime»?

La propension des adolescents à se photographier n’est pas nouvelle. Ceux de la génération précédente s’entassaient dans les photomatons pour s’immortaliser entre amis en poussant des têtes plus ou moins grimaçantes; les photos-passeport étaient ensuite précieusement conservées dans leurs porte-monnaie et montrées lors de nouvelles rencontres. Les nouvelles technologies ont simplement amplifié le phénomène, le numérique permettant de produire des images à l’infini et les réseaux sociaux de les partager en temps réel. L’adolescence a toujours été l’âge du mimétisme et de la comparaison; mais celle-ci était jusqu’alors limitée aux stars des magazines et aux affiches publicitaires. Désormais, grâce au contrôle de sa propre image que permet le selfie et aux filtres que l’on appose aux photos pour les embellir, la star, c’est la voisine de classe. Et les réseaux sociaux (Facebook, mais plus encore ceux spécialement dédiés aux photos comme Instagram ou Snapchat) permettent de quantifier la popularité de chacun: le but, quand on poste un selfie, est que celui-ci soit vu, apprécié et commenté par le plus grand nombre. Il suffit de comptabiliser le nombre de «J’aime» que la photo reçoit pour savoir si l’on a du succès. «Les personnes qui sont sûres d’elles, ça leur permet de montrer qu’elles sont les meilleures, poursuit Annabelle. Mais celles qui manquent de confiance en elles, ça les dénigre encore plus.»

Cette manie de l’autoportrait n’est pas narcissique, car Narcisse se perdait dans la contemplation de son propre reflet, méprisant les avances de la jeune femme qui l’aimait, tandis que le selfie est «un acte social pax excellence, où le regard et le jugement des autres sont primordiaux, note le psychologue fribourgeois Yves-Alexandre Thalmann. D’autant plus à l’adolescence où le regard des pairs devient crucial.» Recevoir des «j’aime» est plutôt agréable. Mais en livrant ainsi sa propre image, on s’expose à des remarques moins obligeantes: dans les pires des cas, certains ados ont fait l’objet de harcèlement numérique autour du thème «T’es moche, vas te cacher». «La pression vient plutôt des commentaires, pas tellement des photos elles-mêmes, analyse Luca, 13 ans. Il y a des gens qui insultent les autres sur les réseaux sociaux alors que dans la vraie vie, ils n’osent rien dire.»

Plus de filles

Les filles sont plus exposées que les garçons. Selon l’enquête de Pro Juventute, elles font plus de photos, les publient plus sur internet et sont plus affectées par la comparaison qui s’en suit. Sur les plateformes web entièrement dédiées aux selfies, la grande majorité des utilisateurs sont des jeunes femmes entre 15 et 24 ans qui cherchent à se faire remarquer pour leur style ou leur beauté. Les ados eux-mêmes notent cette tendance, comme Nicolas, 15 ans: «Franchement, les gars se comparent moins que les filles. Ils ne disent pas: ‘Je suis trop moche’ sur une photo pour que les autres répondent: ‘Mais non, t’es trop beau!’». «C’est vrai qu’il y a plus de concurrence chez les filles, admet Laure. Entre filles, on se critique déjà pas mal; alors avec une photo, c’est encore pire.»

Face à ces dangers, certains ados font preuve de bon sens. «Je n’ai jamais de remarques méchantes sur mes selfies parce que mes contacts ne sont que mes amis, ou presque», explique Lisa. Limiter la diffusion de ses photos est la première des protections. Quant à la comparaison, la campagne de Pro Juventute veut montrer aux jeunes que les photos postées sur internet sont mises en scène et pas toujours représentatives de la vraie vie de leurs amis. La construction de la personnalité des adolescents passe par un détachement progressif du regard des autres: «L’estime de soi se construit de l’intérieur, rarement derrière un objectif photographique et jamais derrière un écran d’ordinateur», conclut Yves-Alexandre Thalmann.



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