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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Le couple

Quand les dures ruptures durent!

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Lettre du mercredi 17 septembre 2014 - Source: Propos recueillis par Véronique HÄRING psychologue conseillère conjugale à Couple & Famille



Conseil conjugal ou médiation familiale ? C’est la question qui se pose fréquemment quand un couple s’adresse à notre service parce qu’il se sépare et souhai­te un accompagnement. Parfois la demande et l’indication sont claires. D’autres fois, le désir de séparation est ambivalent, dé­calé, l’un veut « en finir » rapide­ment, l’autre ne le souhaite pas, a besoin de temps, vient à reculons, sous la menace, les conflits res­tent inextricables et la séparation ne peut se finaliser. Que faut-il penser de ces situations ?

Face à la séparation, les deux partenaires ne sont jamais au même niveau. Le terme « con­jugal » qui, étymologiquement vient de « conjugaison », rappel­le que la conjugalité est l’art, difficile, de synchroniser deux temporalités, deux singularités différentes. Lorsqu’un couple se forme, il doit inventer une sorte d’« horloge conjugale » qui lui permet de s’ajuster l’un à l’au­tre ; lorsqu’il se sépare, les hor­loges retournent à des vitesses séparées, ramenant l’a-synchro­nie naturelle des processus indi­viduels.

Que peut-on proposer face à cette a-synchronie du couple devant la séparation ?Tout d’abord, je pense qu’on ne

peut pas dire « la » séparation. Selon mon expérience, il y a trois types de ruptures que j’ai appelées : par « usure », par « dé­confiture » et par « brisure ». La première, concerne des couples dans lesquels le lien amoureux était souvent très fort, au point que les deux partenaires étaient convaincus que leur couple était inaltérable. Un jour, ils réa­lisent que ce couple qu’ils pen­saient d’une force absolue est épuisé, parfois par manque d’in­vestissement, d’attention portée à la relation au cours du temps. L’un fait le constat en premier et annonce son intention de rompre, plongeant l’autre dans un profond désarroi, même si, dans un deuxième temps, ce dernier finit par se rendre à l’évidence. La séparation est alors très émo­tionnelle, avec une grande tris­tesse de la perte de l’autre, tant aimé par le passé. Au cours du processus de séparation, des petites « flambées de sapin », comme on dit en Belgique, des brèves retrouvailles, pour une nuit, une semaine, peuvent se produire, puis ils se séparent à nouveau, puis, finalement, défi­nitivement.

Quelle est l’aide la mieux adap­tée dans ce type de séparation ? Il s’agit d’une séparation qui

n’est pas très conflictuelle ; elle est pensable, au-delà de la dé­charge émotionnelle. Les gens sont généralement capables de rester en lien dans l’intérêt des enfants. Toutefois, du fait de l’intensité émotionnelle, si un tra­vail autour de la séparation est nécessaire, il se fait plutôt au­près d’un psychothérapeute, car il s’agit pour le couple de trouver quelqu’un qui soit capable de contenir cette tristesse et de per­mettre au couple de ( se ) raconter son histoire d’amour, mais aussi de désamour.

En quoi est-ce important de se raconter son histoire de désa­mour?

Mon hypothèse est que, pour permettre à un couple de bien se séparer, il faut travailler sur son histoire : s’il y a une histoire d’amour, il faut une histoire de désamour. S’il faut un mythe fondateur de la relation, il faut un mythe défondateur. Se raconter, ensemble, leur parcours conju­gal à travers notamment les événements du cycle de vie ( la naissance des enfants, le décès des parents, les changements professionnels, de lieux de vie , etc.), permet aux conjoints de comprendre comment et quand la relation a perdu peu à peu de sa vigueur. C’est une manière de faire de la séparation une affaire conjugale : « c’est notre couple qui, à un moment donné, n’a plus fonctionné ». On sort des re­proches, des accusations et de la victimisation.

On ne rencontrera probable­ment pas souvent, en médiation familiale, des couples séparés par « usure » ?

Sauf dans certains cas où il y a du patrimoine ou le besoin de conseils spécifiques concernant des aspects économiques ou la garde des enfants. En effet, on rencontrera plutôt en média­tion des situations de sépara­tion par « déconfiture » ou par « brisure » qui sont beaucoup plus conflictuelles, car le sentiment qui domine est généralement la colère. Ce qui provoque la rupture par « déconfiture », c’est une déception brutale suite à la découverte, de manière non anticipée, de quelque chose d’effroyable de l’autre. Il y a comme une cassure absolue de la représentation de l’autre, de l’estime pour l’autre sur des thèmes extrêmement mythiques comme l’argent ou la sexualité. Pour vous donner un exemple, récemment, j’ai rencontré un homme qui avait découvert que sa femme lisait un célèbre roman érotique à connotation sadique et masochique et qu’elle avait un certain appétit pour la soumission et la punition. Pour Monsieur qui avait vécu, enfant, des scènes de violence conjugale entre ses parents, c’était effroyable de découvrir sa partenaire attirée par des traitements avilissants. Ce sont des situations où ce qui est perçu de l’autre provoque un effondrement mythique in­supportable qui amène à reje­ter l’autre qui devient, soudain, intouchable, inabordable. Il s’en­suit une longue période où s’expri­ment des maux – des mots -, des ressentis extrêmement pénibles, en lien avec le dégoût, le rejet, le sentiment d’abandon, de tra­hison, difficiles à travailler en con­jugalité.

Ce sont des situations qui font le quotidien des avocats ?

Oui, souvent, il y a un habillage du processus de séparation par les avocats, processus qui reste au niveau du combat. Mais c’est très important de respecter le combat à ce moment-là parce qu’il est protecteur sur le plan psychologique.

On serait tenté de considérer le combat comme quelque chose de plutôt destructeur ?

Le combat est un emballage, un déguisement de l’émotion sous une forme conflictuelle. La colè­re a pour fonction de rassembler la personne, de lui permettre de ne pas être fragmentée, de ne pas être en contact avec des émotions trop délicates ou insupportables. C’est en cela qu’il est protecteur. On retrouve cette protection dans la séparation par « brisure » où les actes qui mènent à la séparation sont du registre de l’impensable, de l’abomination, de l’ordre de l’agression. C’est le cas, par exemple, lorsqu’une personne découvre que son conjoint entretient une relation incestuelle, c’est-à-dire avec quelqu’un de la famille ( la sœur, le père, le frère de l’autre, … ), ou qu’il a commis des actes pervers, meurtriers, etc . Cela pro­voque une déchirure brutale, instantanée, du lien. L’autre, parses actes, s’arrache véritable­ment du couple.

C’est de l’ordre du traumatisme ?

Oui, l’impensable fait trauma et naturellement commence à tourner en boucle à l’intérieur de soi en cherchant désespéré­ment une porte de sortie. Mais ne pouvant être pensé, il ne trouve pas d’issue, reste à l’état brut, sans élaboration. Même la vengeance qui tente certaines personnes dans ces moments-là, n’apporte aucun soulagement. Elle n’est ni thérapeutique ni apaisante.

Qu’elle aide peut être envisagée dans ces cas-là ?

Quand il y a eu un énorme trau­matisme, il n’est pas question de thérapie conjugale, ni de médiation familiale « tradition­nelle », mais de thérapie indivi­duelle, dans laquelle il s’agira de revisiter toute la construction mythique de son couple, c’est-à­ dire pourquoi l’autre a agi de la sorte ? Pourquoi on s’est retrouvé dans une telle situation ? Il m’est arrivé, tout de même, en collaboration avec une collègue média­trice d’expérience, de mettre en place un processus de médiation avec un couple qui avait traver­sé une épreuve extrêmement traumatisante pour Madame. Il était inimaginable de les mettre dans la même pièce, ni même de les amener à travailler avec un appareillage moderne, type Skype. A la simple vue de son conjoint, Madame développait des symptômes physiques gra­ves. Ma collègue a donc travaillé en faisant en sorte que le couple ne se rencontre jamais. Elle avait six tableaux dans son bureau et recevait Madame seule, prenait note sur un premier tableau de ses griefs, sur un second de ses projets et sur un troisième de ses solutions. Puis elle recevait Mon­sieur et procédait de même sur les trois autres tableaux. Elle revoyait Madame et lui demandait de re­garder les griefs, les projets et les solutions de Monsieur, inscrivait les commentaires de Madame, puis les reprenait avec Mon­sieur qui, à son tour, faisait part des siens, etc. Un appareillage d’une lourdeur invraisemblable, mais qui donne des résultats avec quelques couples dans des situa­tions extrêmes !

C’est la haute voltige de la mé­diation ! Que se passe-t-il dans les situations où, les couples, pourtant séparés, continuent à se déchirer durant des années ?

C’est une façon de maintenir le lien. Quand l’autre part par « usure », le maintien du lien passe par une très grande nostalgie de la période de leur vie considérée comme extrêmement belle. Ces couples, pouvant accéder à la partie « histoire d’amour » de leur parcours ont généralement la ca­pacité à se remémorer les bons moments et d’en être heureux. Mais dans les deux autres cas, la perte de l’autre peut être effroy­able sur le plan psychique et risque de provoquer un effondrement. On peut se sentir tout nu, en dan­ger, ridicule, humilié, en plein dé­sarroi, en perte identitaire. Garder la colère contre l’autre c’est une manière de garder l’autre vivant en soi, de lutter contre l’effondre­ment et se protéger de l’effroi.

Vous pouvez retrouver l’intégralité de cette interview ici. Elle fait partie du dossier thématique sur la séparation de la dernière Gazette de Couple et Famille.



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