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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Les jeunes en rupture scolaire: de quoi parle-t-on?


Lettre du jeudi 12 janvier 2017 - Source: Couple et Famille



Florence Cantin (Conseillère Formation à la Direction Générale de L’Enseignement Secondaire II) est interviewée par Charlotte Debionne (conseillère conjugale) Et Pierre-Alain Corajod (médiateur familial) pour l’association Couple et Famille.

Quelle est la situation des jeunes en rupture scolaire à Genève?
L’étude du SRED de 2014 relève que 1100 jeunes quittent en moyenne chaque année le système genevois d’enseignement et de formation (SGEF) sans certification et qu’on ne les retrouve plus en formation dans les 2 à 3 ans qui suivent leur sortie. Il convient de noter qu’une part d’entre eux a déménagé ou poursuit des études à l’étranger. Environ 54% de ces sortants ont moins de 18 ans. Entre 5 à 6% des jeunes qui quittent le Cycle d’Orientation (CO) n’entrent pas l’année suivante à l’Enseignement Secondaire II (ES II) et 2 à 3% d’entre eux n’y sont toujours pas deux ans après. Les interruptions de formation sont plus fréquentes au début des formations de niveau ES II.

Qui sont ces jeunes en rupture de formation?
L’étude montre que la rupture de formation concerne une majorité de garçons (56%), les jeunes de nationalité étrangère (51%), des allophones (55%), enfin 51% d’entre eux sont issus de milieu social plutôt défavorisé et 34% sont arrivés à Genève après l’âge de 6 ans. Ces jeunes ont souvent rencontré des difficultés scolaires qu’ils n’ont pas pu surmonter par manque de stratégies d’apprentissage efficaces. Ils expriment parfois leur sentiment de ne pas avoir pu choisir leur formation et par conséquent de ne pas avoir pu s’impliquer et se motiver pour la réussir. En raison d’un manque d’information sur les formations existantes et d’une orientation peu réfléchie, leur voie semble avoir été choisie par défaut – souvent par les parents – ce qui limite grandement leur motivation et favorise la rupture.

En quoi consiste votre travail?
400 à 500 jeunes avec des profils très différents viennent nous voir chaque année principalement sur convocation après un signalement de l’école ou demande de la famille. Je les reçois pendant un entretien d’l h à 1h30 avec un collègue plus spécialisé dans les aspects pédagogiques et réglementaires. Les mineurs sont toujours accompagnés de leurs parents tandis que les jeunes majeurs ont le choix d’être accompagnés ou non. Le suivi se fait ensuite par téléphone ou par courriel. Nous posons d’emblée un cadre de partenariat bienveillant et non jugeant pour les parents et le jeune : l’aspect officiel de cet entretien a ainsi un double effet, à la fois cadrant pour le jeune et à la fois valorisant et soutenant pour les parents. L’objectif est d’évaluer la situation dans son ensemble pour établir une proposition sur mesure pour le jeune en termes d’orientation et de structures d’accueil. Educatrice spécialisée de formation, je travaille dans ce qui est «l’ici et maintenant» pour le jeune en privilégiant une approche centrée sur les émotions et les solutions permettant de le faire avancer efficacement. Avec mon collègue, nous avons donc une démarche très complémentaire.

Dans quel état d’esprit sont ces jeunes quand ils vous rencontrent?
Nous remarquons globalement une fragilisation de la jeunesse et en particulier de cette population spécifique qui cumule les difficultés scolaires, sociales, familiales et psychologiques. La majorité des jeunes que nous recevons souffre de difficultés psychologiques ou affectives, pouvant aller jusqu’à la dépression. Depuis quelques années, nous ressentons que les jeunes sont plus fragiles psychologiquement. Dans un environnement sociétal qui tend à les protéger de tout en visant le risque zéro, ces jeunes sont, par exemple, désarmés quand il s’agit de surmonter en même temps des difficultés scolaires, familiales et parfois, dans certains cas, en plus un échec ou une déception amoureuse. Le cadre parental peut être à la fois rigide et surprotecteur par certains aspects (pression parentale pour une orientation précise supposée garantir la réussite du jeune) et trop relâché au nom de l’autonomisation du jeune et de l’accès facile à l’information. Ce paradoxe favorise un sentiment trompeur de confiance tendant au laisser-aller qui empêche le jeune d’être véritablement acteur de son orientation. Ils arrivent donc à l’entretien en général peu inquiets avec souvent des difficultés à exprimer leurs attentes, leur ressenti, leur stress éventuel. Ils peuvent être soit dans le déni -«je ne comprends pas pourquoi je suis là»-, soit dans le mutisme en se taisant tout au long de l’entretien, soit encore dans la projection en rejetant la «faute» sur le système scolaire, les parents, la société… Toutefois, certains ont parfois déjà commencé une réflexion et sont capables d’élaborer avec nous.

Qu’en est-il des parents?
Inquiets le plus souvent, ils expriment parfois leur colère, leur contrariété ou projettent les causes de la rupture scolaire sur l’extérieur. Plus globalement, ils disent se sentir démunis et aimeraient pouvoir être aidés dans leur rôle de parents. Nous les écoutons et les rassurons sur leurs capacités parentales et sur le fait que nous sommes là pour les soutenir dans le cadre de cette intervention collective mise en place pour leur jeune. Certains culpabilisent d’avoir trop poussé leur jeune dans une voie qui n’était pas la sienne, d’autres ne se remettent pas en question et peinent à prendre du recul sur la situation. L’idée est de responsabiliser à la fois les parents et les jeunes pour qu’ils deviennent acteurs de ce travail commun. Nous les invitons à instaurer un cadre parental clair et sécurisant pour le jeune qui lui permette d’être acteur de sa démarche. Leur rôle est donc essentiel, à nous de les rassurer et les encourager avec bienveillance et empathie à reprendre une place parentale active et soutenante pour leur jeune. Nous leur disons souvent «ayez confiance dans votre fils/fille». Nous les invitons à le responsabiliser dans les tâches domestiques et ne pas vouloir à tout prix combler le vide. Il faut parfois du temps jusqu’à ce que le jeune fasse l’expérience de l’ennui et du décalage par rapport aux autres pour décider de lui-même de se prendre en main.

Quels relais pouvez-vous proposer aux parents et leur jeune pour accompagner leur démarche?
En plus de les conseiller sur les possibilités de formation, de transfert d’école et d’apprentissage offertes par des structures communales ou par l’Office pour l’orientation, la formation professionnelle et continue (OFPC), il nous arrive de suggérer aussi aux jeunes et aux parents d’entreprendre un accompagnement thérapeutique, notamment en cas de séparation. L’entretien est parfois le lieu où se rejouent les conflits conjugaux, il est alors plus compliqué pour le jeune de démarrer sereinement le travail sur son orientation. Nous constatons que le divorce a été la plupart du temps un élément déclencheur de la rupture du jeune et que le maintien d’un couple parental uni après la séparation reste malheureusement difficile à mettre en œuvre dans les situations que nous rencontrons. Dans cette période délicate où il opère des choix importants, le jeune a en effet besoin d’un cadre parental contenant et d’un accompagnement efficace et bienveillant qui le mette en route sur son chemin de vie.


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