Menu

Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

La garde partagée: un modèle exigeant


Lettre du jeudi 23 juin 2016 - Source: Le journal de l'UNIGE



Chercheur à la Faculté des sciences de la société, Eric Widmer est spécialiste des dynamiques familiales et chef de projet au sein du pôle de recherche national LIVES. Il s’exprimera lors du colloque «les nouvelles formes de parentalité» sur les conséquences socio-économiques de la garde alternée.

Que recouvre le concept de «nouvelles formes de parentalité»?
Eric Widmer: Toutes sortes de situation, qui échappent au cadre de la famille nucléaire traditionnelle, à savoir un couple marié hétérosexuel et ses enfants biologiques. Ces nouvelles formes concernent des familles où l’on fait parentalité sans faire couple, à la suite d’une séparation ou d’un divorce, des parents homosexuels, des situations d’adoption ou de recomposition familiale où l’un des deux parents n’est pas le parent biologique de l’enfant. On se trouve donc face à des configurations familiales plus complexes et surtout qui sont moins encadrées par un système de normes sociales claires, indiquant les responsabilités et les droits des uns et des autres.

Comment ces évolutions se traduisent-elles en Suisse?
La Suisse affiche des taux de divorce très élevés par comparaison internationale, dans un contexte qui demeure toutefois très structuré par le genre: l’homme est toujours le principal responsable des revenus de la famille, les femmes travaillant majoritairement à temps partiel. Cela crée des situations où la séparation est difficile à gérer pour un nombre important de couples, car leur spécialisation les rend vulnérables: manque d’investissement et de compétences familiales et relationnelles pour les hommes, manque d’acquis professionnels pour les femmes. Cela explique aussi pourquoi la séparation et le divorce sont l’une des principales causes de pauvreté en Suisse.

A quoi tient cette spécificité suisse?
Elle reflète la structure de notre société. Le marché du travail en Suisse valorise et récompense, en termes de revenus et de prestige, les individus qui font carrière et qui s’investissent énormément dans leur vie professionnelle en travaillant à 150%, le plus souvent au détriment de leur vie familiale.

Pensez-vous que la garde alternée pour les enfants de couples séparés va se généraliser?
Lorsque les conditions sont réunies, c’est un modèle de coparentalité intéressant, plus égalitaire que le modèle traditionnel avec un gardien principal. Mais il est très exigeant du point de vue financier et relationnel. Il implique de maintenir deux domiciles de taille conséquente pour accueillir les enfants, et à proximité l’un de l’autre en raison de l’école, de dédoubler une partie des affaires des enfants. 11 exige aussi une très bonne coordination et un niveau de communication élevé entre les parents.

Par ailleurs, la configuration spécialisée de la majorité des couples en Suisse rend cette solution difficilement praticable, à moins de mettre en place une véritable politique familiale de soutien qui permette, par exemple, aux femmes de trouver ou de retrouver une situation professionnelle leur assurant des revenus suffisants. La séparation du couple reproduit généralement son mode de fonctionnement durant le mariage ou la vie commune. On ne peut donc pas imposer cette solution comme une norme et transformer en couples égalitaires des individus qui ont fonctionné sur un mode asymétrique.

C’est pourtant une solution qui va dans le sens d’une évolution de la société, avec des pères qui s’investissent davantage qu’auparavant dans l’éducation des enfants…
La famille est de plus en plus perçue comme étant au service du développement personnel des individus Le mariage, dont on disait dans les années 1960 et 70 qu’il s’agissait d’une institution en voie de disparition, continue d’être valorisé. Se marier, avoir des enfants sert de marqueur à la réussite professionnelle et relationnelle. En ce sens, l’investissement dans l’éducation des enfants gagne en importance, pour les femmes comme pour les hommes Sauf que pour ces derniers c’est nouveau. Et il faut garder en tête que cette évolution se manifeste surtout auprès des classes aisées.

La famille se porte donc plutôt bien…
Oui, mais elle génère paradoxalement plus de frustrations qu’auparavant, parce que les attentes à son égard sont plus grandes. Les générations passées la considéraient avant tout comme un moyen de faire face à leurs responsabilités sociales et économiques, elle les dominait et les protégeait. Aujourd’hui, on attend de la famille qu’elle remplisse de sens nos existences.


Livre de la semaine


  • Homosexualité et parenté


  • Comments are closed.

    Back to Top ↑