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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Neurosciences et apprentissages


Lettre du mercredi 27 juillet 2016 - Source: Revue Educateur



Que se passe-t-il dans le cerveau d’un enfant lorsqu’il apprend à lire, à écrire et à compter? L’imagerie cérébrale révèle les mécanismes à l’œuvre au cours de ces apprentissages. Stanislas Dehaene, psychologue cognitif et neuroscientifique, professeur au Collège de France, est formel: il est impératif de donner aux enseignants un bagage sur la manière dont fonctionne le cerveau. Leurs pratiques gagneront en efficacité. Les découvertes récentes des neurosciences n’entravent ni la créativité ni la liberté pédagogiques; elles incitent plutôt les enseignants à devenir des expérimentateurs. Il n’est cependant pas question de classer les enseignants selon l’impact qu’ils ont sur le cerveau de leurs élèves ! (OCDE 2008)

De la plasticité cérébrale
Notre cerveau est structuré dès la naissance; nous héritons des intuitions et des compétences précoces dans des domaines clés pour notre survie: l’espace, le nombre, le langage. Les apprentissages scolaires, comme la lecture et l’arithmétique, mobilisent et recyclent ces systèmes cérébraux. Par exemple: apprendre la numération et le calcul à un enfant revient à éveiller la zone cérébrale du nombre et à y créer de nouvelles connexions. Cette plasticité du cerveau, cette capacité à faire usage de systèmes préexistants se maintiennent toute la vie. C’est ce qui nous permet d’apprendre à tout âge. L’architecture de notre cerveau influence donc nos apprentissages, lesquels agissent à leur tour sur nos structures cérébrales en créant et renforçant de nouvelles connexions entre les neurones.

Qu’est-ce qui fait apprendre?
Pour Gerald Hüther, directeur du Centre de recherche préventive de neurobiologie des Universités de Gâttingen et de Mannheim/Heidelberg, ce qui nous fait apprendre, à tout âge, c’est l’enthousiasme. Cet ingrédient provoque un autodopage cérébral, soit une production de substances nécessaires à tous les processus de croissance et de réaménagement des réseaux neuronaux. C’est ce qui explique que nous progressons rapidement dans tout ce que nous faisons avec plaisir. En bref, le cerveau se développe là où il est utilisé avec enthousiasme.

Outre cet élan vers les connaissances, les neurosciences ont mis l’accent sur d’autres aspects qui sous-tendent les apprentissages. Tout d’abord: «l’attention soutenue» et «l’engagement actif» (Dehaene 2013). L’écoute passive d’une leçon ne fait pas apprendre; très vite, l’esprit s’évade et vagabonde. Pour maintenir l’attention, il faut être captivé et actif: chercher, toucher, manipuler, tester, faire et refaire. Plutôt que d’enseigner, mieux vaut impliquer les élèves dans des activités qu’il convient ensuite de répéter souvent afin que les connexions cérébrales se renforcent: Peu à peu, au fil des exercices, en mobilisant des réseaux plus rapides et plus efficaces, le cerveau parvient à une automatisation. H en va ainsi de l’apprentissage de la lecture et des livrets, par exemple, Il ne suffit donc pas de dire: «tout le monde a bien compris, y a-t-il des questions?» pour que des notions nouvelles soient acquises et mémorisées. Encore faut-il les exercer et les tester régulièrement. Les connaissances qui ne sont pas exercées tendent à s’effacer. Tester ne signifie toutefois pas multiplier les épreuves chiffrées, mais plutôt pratiquer une évaluation formative où les élèves repèrent et corrigent eux-mêmes leurs erreurs. À cet égard, les jeux sérieux (serious games) s’avèrent particulièrement efficaces. Leur usage est vivement recommandé par les spécialistes des neurosciences.

Ceux-ci affirment, en outre, qu’il est important de faire des pauses et de diviser les apprentissages en séquences courtes de quelque vingt minutes. Ils insistent aussi sur le fait que l’erreur est formatrice et qu’il faut se tromper pour apprendre. C’est pourquoi il convient d’éviter en classe tout usage abusif du crayon rouge. Les enfants ne doivent pas avoir peur de faire des fautes, car le stress bloque les apprentissages.

Des compétences cognitives
Pour apprendre, les élèves mobilisent un certain nombre de processus cognitifs appelés «fonctions exécutives». Les plus importants sont: la mémoire de travail, la flexibilité du raisonnement et la capacité à inhiber les stratégies erronées. L’imagerie cérébrale confirme une hypothèse que faisaient les psychologues: il se passe quelque chose dans le cerveau des enfants lorsqu’ils sont âgés de 6, 7 ans. Piaget avait montré qu’à cet âge, les enfants, face à un nombre égal de jetons rangés sur deux files de longueurs différentes, ne désignaient plus la plus longue comme étant celle qui comptait le plus de jetons. L’expérience a été refaite aujourd’hui sur de nombreux enfants. A 5 ans, ces derniers ne parviennent pas à se défaire de leur appréhension logique: «plus c’est long plus il y a d’objets.» Toutefois, dès 7 ans, les choses changent. L’imagerie par résonance magnétique montre qu’un réseau de neurones s’active dans le cortex préfrontal, lequel «inhibe» ces erreurs intuitives. Le cerveau s’est en quelque sorte reconfiguré (Houdé 2015).

Il existe en fait trois systèmes cognitifs: le premier rapide, automatique et intuitif, le second plus lent et logique et le troisième relié au cortex préfrontal. Celui-ci joue le rôle d’arbitre; son rôle est d’inhiber des intuitions fautives. Ainsi, face à un problème: Hugo a quinze billes; il a cinq billes de plus que Margot. Combien Margot a-t-elle de billes? Les enfants se concentrent souvent sur le «plus» et font l’addition (15 + 5) au lieu faire la soustraction (15-5). Une pédagogie efficace dans ce cas est de les avertir de ne pas associer le «plus» à une addition. De même pour l’orthographe: « je vous le direz, » les avertir de ne pas accorder le verbe avec le pronom le plus proche. Plutôt que de répéter les règles de l’arithmétique ou de la grammaire, mieux vaut apprendre aux enfants à résister à leurs intuitions, à en déjouer les pièges (Houdé 2015). Cette compétence d’inhibition des représentations erronées qui viennent spontanément à l’esprit n’est jamais complètement acquise, même à l’âge adulte.

Montessori: la pédagogie rêvée
Quelles sont les pédagogies efficaces pour stimuler le cortex préfrontal? Les neuroscientifiques et, Adele Diamond, professeure à l’Université de Colombie britannique en particulier, recommandent la méthode de Maria Montessori. Celle-ci privilégie la liberté de choix des activités, le travail individuel et la collaboration entre les enfants d’âges différents, les répétitions spontanées et l’exercice physique. La doctoresse Maria Montessori a développé sa pédagogie, au début du XXe siècle, à partir d’une démarche scientifique fondée sur l’expérimentation et l’observation. Elle a mis en lumière la nécessité d’un environnement riche et ordonné dans lequel les enfants évoluent librement tout en respectant des règles de vie (rangement du matériel, calme, attention aux autres). Ses principes sont la liberté, l’autodiscipline, l’action, l’expérimentation, le respect du rythme d’apprentissage de chaque enfant. Le matériel est ordonné selon les domaines: vie pratique, mathématiques, langage, sciences, histoire, géographie, musique, arts visuels. Le rôle des éducatrices ou des éducateurs est avant tout de transmettre un «savoir-apprendre». Les spécialistes des neurosciences recommandent la méthode de Maria Montessori, car elle est en accord avec le fonctionnement du cerveau. En effet, il s’agit d’une pédagogie attentive à ne pas tarir l’enthousiasme et qui privilégie l’engagement actif, la créativité et la coopération.

De l’apprentissage de la lecture
L’imagerie cérébrale montre que la zone de la lecture se situe à gauche du cerveau près de celle du système qui décrypte les sons et les phonèmes. L’apprentissage de la lecture met en œuvre une petite zone de l’hémisphère gauche du cerveau qu’on appelle parfois «boîte des lettres». Celle-ci s’active quelles que soient les langues. Il semble toutefois que l’apprentissage de certaines écritures, comme le chinois ou le japonais, sollicite aussi quelque peu l’hémisphère droit. Chose étonnante: l’imagerie cérébrale révèle que la boite des lettres n’apparaît pas chez les personnes analphabètes. Cette situation n’est toutefois pas irrémédiable; la région peut s’activer à tout âge (Dehaene 2011).

Quelle méthode utiliser afin de mobiliser les zones cérébrales les plus efficaces? Les spécialistes des neurosciences sont arrivés à la conclusion, après de nombreuses expériences d’imagerie cérébrale sur de jeunes enfants, qu’il s’agit de la méthode syllabique pratiquée de longue date dans les abécédaires classiques: le fameux «b-a/ba». Celle-ci active des zones de l’hémisphère gauche du cerveau et particulièrement celle de la reconnaissance des visages. L’imagerie cérébrale montre que lorsqu’un enfant apprend à lire, il mobilise cette zone qu’il va en quelque sorte recycler pour passer des visages aux lettres et aux mots. Cette découverte explique pourquoi il arrive si souvent que les enfants écrivent des lettres ou des mots à l’envers; ils ont appris à reconnaître les visages tant de gauche que de droite. Il en va de même de leurs difficultés à distinguer les lettres dites en miroir comme le b et le d. Afin que les enfants désapprennent une stratégie visuelle qui s’avère inadaptée, des spécialistes en sciences cognitives recommandent de faire appel à la vue, à l’ouïe et au toucher. Cette approche multisensorielle est d’ailleurs celle pratiquée par Maria Montessori. Les enfants parcourent les lettres en relief (en papier d’émeri, par exemple) de leurs doigts, yeux ouverts et fermés. De cette manière, ils s’imprègnent de la forme des lettres et parviennent à déjouer les pièges que leur tendent les lettres en miroir (Houdé 2015).

Et Stanislas Dehaene de déclarer: «Le principe alphabétique ne va pas de soi. Il faut en enseigner explicitement tous les détails: la correspondance de chaque lettre ou groupe de lettres avec un son, la distinction entre voyelle et consonne, le déroulement du mot de la gauche vers la droite, les lettres muettes (…) et cela, avec une progression systématique du plus simple au plus complexe, et sans jamais proposer à l’enfant de mots dont on ne lui ait pas enseigné, d’abord, les clés de lecture» (Le Monde, 3.02.2014). Qu’en est-il de la méthode dite globale, fondée précisément sur la reconnaissance de mots? Selon les spécialistes des neurosciences, elle manque de pertinence, car elle sollicite l’hémisphère droit du cerveau; elle ne tait donc pas appel aux bons circuits neuronaux. C’est pourquoi elle s’avère peu efficace et particulièrement ardue. Les enfants apprennent par cœur des mots et parfois de petites phrases sans être capables de les déchiffrer, de les décomposer en syllabes. Y a-t-il malentendu? La méthode dite globale commence certes par une phase de reconnaissance des mots, mais elle ne fait pas l’impasse SUT les syllabes. Une fois les mots acquis, les enfants apprennent à y repérer les syllabes (ba et b -a). Sans doute est-ce plus difficile… Ne nous engageons pas dans la polémique. Quelle que soit la méthode, il faut du temps, des efforts et des répétitions pour apprendre à lire. Et de l’enthousiasme aussi, bien sûr.

Bibliographie :
OCDE/CERI: Comprendre le cerveau: naissance d’une science de l’apprentissage. Paris: 2008 Dehaene, S. (sous la direction de). Apprendre à lire. Des sciences cognitives à la salle de classe. Paris: Odile Jacob 2011 Dehaene S. Les quatre piliers des apprentissages, ou ce que nous disent les neurosciences. Paris: Tech Review, Novembre, 2013 Houde, O. Apprendre à résister. Paris: Éditions Le Pommier, 2015 Nia van Dam: Inside the Leaming Brain. Atd: April 2013, www.astd.org/Publications/Magazines/TD/TD-Archive/2013/04/Inside-the-Learning-Brain/


Livre de la semaine


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