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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

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Papa et maman ne veulent pas jouer avec moi!


Lettre du mercredi 24 juin 2015 - Source: Echo Magazine, Cécile Jaurès/La Croix



Les parents ont parfois du mal à trouver le temps ou l’envie de jouer avec leurs enfants. Les activités ludiques en famille ont pourtant des vertus irremplaçables. Quelques conseils pour se prendre au jeu. «Je n’aime pas jouer.» Combien de fois Pascal Deru a-t-il entendu cet aveu dans la bouche de parents ou de grands-parents entrés dans son magasin de jouets et de jeux de société «Casse-Noisettes», au centre de Bruxelles, pour acheter un cadeau d’anniversaire? Pour le sexagénaire, qui a confié l’an dernier les clés de sa boutique à deux jeunes femmes mais continue de dispenser formations et conférences, «le don du jeu n’est pas automatique». Tout le monde, déplore-t-il, n’a pas eu «la chance d’avoir partagé avec un père une grand-mère ou un oncle ces moments de bonheur qui allument une petite flamme au fond de nous».

Trop souvent le jeu, qui requiert de la part des adultes une certaine vigueur et de la disponibilité, passe au second plan. «Les jeunes parents ne savent plus comment jouer avec leurs enfants parce qu’ils sont trop occupés. Ils ont l’impression de passer du temps avec eux parce qu’ils les emmènent faire des courses ou du sport, mais rares sont ceux qui prennent un quart d’heure par jour pour s’intéresser à l’activité principale de l’enfant: le jeu», constate la ludologue Catherine Watine, directrice de la ludothèque «I, 2, 3… Soleil» à Montreuil, en France.

Monopoly interminables
Si les parents se transforment volontiers en coaches scolaires, ils rechignent à accorder une place à ce qui, à leurs yeux, ne sert à rien ou semble synonyme d’ennui. «J’ai beaucoup de mal à me poser pour jouer avec mes enfants, avoue Hélène, cadre commerciale et mère de deux garçons de 7 et 10 ans. Je rentre fatiguée et je déteste les jeux de société: cela me rappelle les interminables Monopoly du dimanche après-midi ou les parties de dames avec mon frère, que je perdais systématiquement.» Résultat: tout en ayant l’impression de rater quelque chose, elle se dérobe ou se défausse sur son mari.

«L’idée même de jouer fait resurgir des sentiments anciens issus de nos expériences passées», explique Catherine Dumonteil-Kremer, consultante familiale et éducatrice Montessori. Nos parents jouaient-ils avec nous? Etait-il important de perdre ou de gagner? Avons-nous été humiliés ou accusés de tricher? Répondre à ces questions aide à cerner ce qui nous freine. Certains parents ont peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas comprendre les règles ou peinent simplement à abandonner la posture sérieuse de l’adulte pour se mettre à quatre pattes dans le salon et faire parler des figurines. «Quand on joue, on se met à nu, analyse Catherine Watine. Il faut accepter le risque de passer pour un imbécile. Face à un nouveau jeu, l’enfant est pragmatique, il se lance, car il a l’habitude de comprendre en expérimentant, tandis que l’adulte ne veut pas être mis en difficulté.»

Réservoir affectif
Les spécialistes du jeu sont pourtant unanimes: refuser de jouer en famille, c’est se priver d’un formidable moyen de se connecter à son enfant, de tisser une relation de confiance durable et de remplir son réservoir affectif. Pour Pascal Deru, c’est un cadeau qui permet de transmettre un message essentiel: «Porter cette attention particulière à l’enfant, ce geste gratuit, c’est lui dire qu’il a du prix à nos yeux, et c’est le meilleur viatique pour le faire avancer dans la vie». Le jeu est aussi un formidable laboratoire où l’enfant peut faire des expériences sans danger: «Si ma petite-fille triche dans un jeu, je commence par me réjouir intérieurement. A l’école, une sanction serait prévue, elle serait la cible des moqueries de ses camarades. Dans le cadre du jeu, on s’attaque à ce problème dans un climat de bienveillance».

Jouer offre à l’enfant un espace de transformation de sa personnalité. Dans les jeux coopératifs, passer des alliances avec ses partenaires pour construire une ville ou mener à bien un projet met en place des formes inédites de solidarité, d’échange, de confiance en soi et en l’autre… Des aptitudes que l’enfant pourra utiliser par la suite. Les jeux de société apprennent aussi à «perdre en paix» même si, pour certains, le processus est plus long que pour d’autres. Laisser gagner les mauvais perdants ne leur rend jamais service. Pour les 3-6 ans, on privilégiera les jeux de hasard, qui donnent à chacun des chances égales de gagner, ou les jeux coopératifs qui permettent de partager la responsabilité de l’échec comme de la victoire; avant d’introduire, à doses homéopathiques, à partir de 7-8 ans, des jeux de compétition qui développent des compétences stratégiques.

900 boîtes par an
En famille, il est recommandé de varier les types de jeu pour permettre à chacun, à tour de rôle, de gagner: l’un est plus fort en visuel, l’autre en logique… Et pour faire son choix parmi les 900 boîtes qui sortent chaque année, rien ne remplace les conseils avisés des professionnels, notamment dans les ludothèques, où on peut les tester et les emprunter. Car souvent, les bons jeux ne sont pas ceux que le commerce ou la publicité télévisée mettent en avant. Pascal Deru, qui recense sur son site des produits de qualité, plaide pour la création d’une école où les parents réapprendraient à jouer. «Devant l’infiniment simple, ils n’ont pas d’idées. Pourtant, avec des briques de Lego, des planchettes de Kapla ou des cubes en bois, on crée des univers illimités. On n’en fait jamais le tour.»

Des cris de bête blessée
En marge des jouets du commerce, le quotidien regorge d’occasions ludiques. Pourquoi ne pas improviser un «Ni oui ni non» sur le chemin de l’école, un jeu de cache-cache lors d’une promenade en forêt? Catherine Dumonteil-Kremer invite à découvrir les bienfaits du «jeu-écoute». Dans une chambre où il y a un grand lit, pendant un quart d’heure, on propose à l’enfant de jouer à ce qu’il souhaite. «Très vite, ça tourne au chahut», explique-t-elle. Le but est de laisser l’enfant, pour une fois, prendre le dessus sur l’adulte. Quand il nous pousse, on fait semblant de tomber en poussant des cris de bête blessée. Jouer la maladresse, faire le clown déclenche le rire qui permet de relâcher les tensions accumulées pendant la journée. «On perd un peu de sa dignité mais, en ranimant notre âme d’enfant, on retrouve, nous aussi, cette joie de vivre qu’on avait laissée au placard.»


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