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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Divorce: approche judiciaire ou médiation?


Lettre du jeudi 16 juin 2016 - Source: Couple et Famille



A Genève, une question très actuelle est la collaboration entre la justice et la médiation. De nombreuses réflexions sont menées sur ce sujet, sans vraiment trouver de solution idéale pour faciliter cette Collaboration compliquée mais nécessaire. Par justice, il faut entendre les tribunaux et les avocats. Pour illustrer et comprendre ce tiraillement, nous avons rencontré Madame Sylvie Wegelin, qui a exercé durant 32 ans la profession de juge, plus particulièrement dans les domaines touchant à la famille et à la protection des mineurs. Aujourd’hui, un couple qui décide de se séparer ou de divorcer peut rédiger une convention à l’amiable (via un médiateur ou par internet par exemple) ou faire appel à un avocat. Propos recueillis par Pierre-Alain Corajod médiateur familial.

-Pierre-Alain Corajod : Quelles sont les différences entre une approche judiciaire et la médiation?
-Sylvie Wegelin : L’approche judiciaire règle le litige dans une logique de combat. Le mot « adversaire », souvent utilisé dans les procédures illustre bien cela. Avant tout, l’avocat connaît le droit. Il est mandaté pour aborder le conflit en retenant la seule version des faits de son client et en cherchant des solutions par l’application de la loi. Juges et avocats se préoccupent peu du vécu relationnel et émotionnel des parties au procès. Le jugement rendu donne une solution au litige, mais ne résout pas les conflits personnels, les malentendus et les rancœurs liées au sentiment que la décision rendue est injuste. La médiation s’appuie, au contraire, sur la participation active des personnes pour que celles-ci comprennent l’origine de leur conflit expriment avec le concours du médiateur leurs demandes, leurs valeurs et leurs besoins et trouvent ainsi, par leurs propres réflexions, les solutions qui leur conviennent. Le médiateur favorise la communication et l’intercompréhension entre les parties.

P-A C : Dans ce sens, le Québec montre l’exemple.
S W : Depuis une vingtaine d’années, le barreau et le monde judiciaire, de concert avec les milieux politiques, se sont préoccupés de faciliter l’accès à la justice en recourant à des modes amiables de règlements des litiges. L’objectif était, d’une part, de diminuer les coûts de la justice (aujourd’hui une heure chez un avocat genevois coûte en moyenne CH 450.- contre CHF 60.- à CHF 250.- pour 1h30 de médiation à Couple et Famille). Par ailleurs, les milieux judiciaires ont pris conscience que le règlement des conflits devait s’axer sur davantage de communication et de compréhension des intérêts des parties, plutôt que la seule évaluation de leurs positions respectives. Il convenait ainsi de sortir de la logique du duel judiciaire pour donner aux parties l’opportunité de trouver elles-mêmes les réponses à leur conflit en recherchant les bases d’un accord durable et acceptable pour tous.

P-A C : Pour que la médiation se démocratise, ne semble-t-il pas important que les milieux juridiques adhèrent à cette alternative de résolution des conflits?
S W : Oui, si la médiation s’est rapidement implantée au Québec, c’est grâce à la participation soutenue des avocats qui ont compris que la défense des intérêts de leurs clients ne se limitait pas à prendre en compte leurs besoins matériels, mais impliquait de regarder la dimension psychologique importante dans tout conflit (besoins affectifs, relationnels, valeurs culturelles ou personnelles, besoin réciproque d’être entendu). La volonté des autorités politiques, un cadre législatif favorable à la médiation et un engagement des juges et des avocats ont permis à la médiation d’entrer par la grande porte du Palais de justice au Québec.

P-A C : Dans le cadre de votre travail de diplôme en médiation familiale, vus constatez que les juges à Genève sont de plus en plus sensibilisés à la médiation, en particulier dans les situations qui impliquent des relations durables (famille, succession, voisinage).
S W : Les juges n’ont toutefois pas les moyens de contraindre les parties à tenter cette démarche. La procédure ne leur permet que de conseiller, voire exhorter, les plaideurs à rechercher des solutions amiables à leur conflit. Malheureusement et trop souvent, ce sont les avocats qui déconseillent à leurs clients de tenter la médiation proposée par le juge, souvent par crainte d’être mis à l’écart du dossier. C’est oublier que le rôle des avocats en médiation, comme en justice, est essentiel pour conseiller et assister le client dans la recherche active de solutions tenant compte de tous les paramètres du conflit. Les avocats doivent être intégrés au processus de médiation et non pas regardés comme des rivaux ou des adversaires. C’est également oublier que les codes de déontologie des avocats encouragent le recours à toute solution transactionnelle pour mettre fin au contentieux.

P-A C : Nous rencontrons des parties épuisées par leurs démarches de séparation. Y voyez-vous une conséquence dans le processus?
S W : Le combat juridique épuise les parties, psychologiquement et matériellement. Les justiciables et leurs proches (les enfants, les grands-parents, les amis) vivent dans le stress, les émotions négatives et un sentiment d’insécurité. Les coûts liés au procès sont souvent très lourds (honoraires d’avocats, frais de justice, indemnités de témoins, frais d’expertise). C’est parfois ce constat d’échec et un épuisement partagé par les deux parties qui donnent une ouverture pour tenter une médiation en laissant le combat de côté.

P-A C : Selon vous, la médiation mène à l’intériorité?
S W : Le processus de médiation aide à déconstruire progressivement la relation conjugale plutôt que la détruire. Chacun est invité à prendre sa part de responsabilité dans le conflit pour inventer les modalités d’une nouvelle relation et négocier des arrangements plus créatifs et plus satisfaisants que le seul recours à la loi.

Sylvie WEGELIN Médiatrice familiale à OPCCF, Office protestant de consultation conjugale et familiale et à l’Antenne de médiation ASTURAL. Anciennement juge civile, juge des tutelles et juge pénale au Tribunal de Première Instance.

 


Livre de la semaine


  • Le plaisir d’apprendre


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