Ces enfants qui prennent le pouvoir à la maison

Lettre du mercredi 22 janvier 2025 - Source: Tribune de Genève
Cette semaine nous mettons en avant l’article de Elodie Lavigne paru dans La Tribune de Genève le 13.9.24 “Ces enfants qui prennent le pouvoir à la maison”.
“Sujet tabou s’il en est, les enfants et adolescents tyranniques font subir un enfer à leur famille. Un programme fondé sur la résistance non violente vient en aide aux parents.
Qu’il s’agisse de leurs nombreuses exigences, des rituels qu’ils imposent, de leur opposition permanente, de leur intolérance à la frustration et des crises de colère excessives qui en découlent, certains enfants font vivre l’enfer à leurs parents et à leurs frères et sœurs. Largement méconnu et tabou, ce phénomène serait en augmentation, d’après la Dre Nathalie Franc, pédopsychiatre au Centre hospitalier universitaire de Montpellier, spécialiste des troubles du comportement de l’enfant et auteure de nombreux ouvrages sur le sujet. Elle est à l’origine de la diffusion en France du programme React (lire encadré), qui accompagne les parents concernés par cette problématique.
La tyrannie qui s’exerce au sein de la famille ne correspond pas à un diagnostic médical. Les études montrent toutefois qu’elle est souvent associée à des troubles psychiatriques (troubles anxieux, du déficit d’attention avec ou sans hyperactivité, de la régulation émotionnelle, etc.). «Cette modalité de comportement se traduit par un renversement de la hiérarchie familiale. L’enfant prend le pouvoir à la maison. Les parents sont entravés dans leur éducation et leur fonction parentale. Ils vivent dans la peur des réactions de l’enfant et prennent toutes leurs décisions – choix du repas, du film, des sorties, etc. – en fonction de lui», décrit la Dre Franc.
«Les crises de colère font tenir cette hiérarchie inversée. Les parents ont tendance à s’hyperaccommoder afin de les éviter. Mais c’est un piège. Au fil du temps, les crises se multiplient et s’intensifient avec un risque d’aggravation de la violence», ajoute Caroline Eap, psychologue FSP à Morges (VD) et spécialiste du sujet. Ces crises peuvent entraîner la soumission des parents ou, pire, déboucher sur de la violence physique, verbale ou psychologique jusqu’au harcèlement.
Des parents punching-ball
De telles situations se vivent le plus souvent à huis clos, ces enfants donnant le change dès qu’ils sont hors du foyer. «Dans des milieux très normés comme l’école, ils se suradaptent. Mais dès qu’ils se retrouvent dans le cadre sécurisant de la famille, ils déchargent leurs émotions pour retrouver leur équilibre», poursuit la Dre Franc. «Les parents servent ainsi de punching-ball», illustre Caroline Eap.
Le fait que ces comportements ne s’expriment que dans le cadre familial complique la prise en charge. «Les parents sont souvent incompris et remis en question, voire soupçonnés de faire n’importe quoi», déplore Nathalie Franc. Or il ne s’agit ni d’un manque de cadre, ni de carence éducative. «Au contraire, ce sont des parents ultrainvestis dans leur parentalité. D’un niveau d’instruction supérieur à la moyenne, ils sont très informés et à l’écoute des besoins de leur enfant», souligne Caroline Eap. Rien à voir donc avec l’enfant roi que l’on gâte et à qui on laisse tout faire.
Ce besoin excessif de contrôle qu’éprouve l’enfant à l’égard de son environnement et ses ouragans émotionnels mettent la famille à rude épreuve. Les parents, fragilisés, éprouvent honte et culpabilité et en viennent à s’isoler, par peur du regard des autres. Quant aux frères et sœurs, ils en paient généralement un lourd tribut.
Un nouvel ancrage parental
Pour aider les parents à sortir de cet engrenage destructeur, Haim Omer, professeur de psychologie à l’Université de Tel-Aviv, a mis au point le programme React, fondé sur la résistance non violente, selon l’approche idéologique de Gandhi. Il a la particularité de se centrer sur la posture parentale. «Ces enfants ne s’engagent pas en thérapie car ils ne voient pas le problème. Comme les parents font le tampon, ils arrivent à garder un état émotionnel stable malgré leurs troubles», explique la Dre Franc.
Il s’agit de mettre l’enfant dans un inconfort pour le motiver au changement. Ce programme est un levier, une étape préalable à la psychothérapie. «C’est un chemin qui nous manquait», poursuit-elle. La «nouvelle autorité» prônée dans le programme vise à augmenter la présence parentale et à condamner toute forme de violence. «Il n’est pas question de démissionner, mais de montrer à l’enfant que d’autres chemins sont possibles, relate Caroline Eap. C’est une manière d’exprimer son amour pour lui.» Cette résistance passe notamment par le silence, le contrôle de soi et le soutien d’un réseau que l’on met en place pour sortir du secret et de l’isolement et confronter l’enfant au regard social.
Cet apprentissage se fait par le biais de séances de groupe qui sont autant d’occasions de trouver de l’écoute et de la solidarité. Une étude, conduite par la Dre Franc, évalue actuellement l’efficacité de la méthode. «Nous avons dix ans de recul avec des expériences cliniques qui montrent déjà de très bons résultats», conclut la pédopsychiatre.
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