Comment soutenir un partenaire qui va mal sans risquer son couple?

Lettre du mercredi 4 juin 2025 - Source: Tribune de Genève
Cette semaine nous reproduisons un article de Caroline Lumet publié le 12.04.2025 dans la Tribune de Genève “Comment soutenir un partenaire qui va mal sans risquer son couple?”
Cet article examine les difficultés émotionnelles et concrètes auxquelles font face les partenaires qui soutiennent un conjoint souffrant, que ce soit d’une dépression, d’un épuisement professionnel ou d’un cancer. Camille Rochet et Julie Arcoulin, des expertes dans leur domaine, soulignent l’importance de prendre conscience de ses propres limites et de maintenir son équilibre personnel pour prévenir l’épuisement. Ils mettent l’accent sur le besoin de conserver l’harmonie dans la relation, sans toutefois tomber dans le piège d’être trop « soignant » ou de porter tout le fardeau. L’aide doit être empreinte de bienveillance, sans pour autant nuire à soi-même. Ils préconisent une communication transparente et la recherche d’une assistance externe si besoin.
“Dépression, cancer, burn-out… Quand la personne que l’on aime souffre, on ferait tout pour elle, mais des limites sont nécessaires, selon les spécialistes.
Partenaires, conjoints, compagnons, alliés: le couple est une équipe. Un duo où l’on se soutient mutuellement, parfois à tour de rôle. Mais dans le cas d’une maladie, comme la dépression, le burn-out ou le cancer par exemple, l’équilibre des forces, la plupart du temps, est rompu. De nouveaux rapports s’installent, où l’un devient le pivot familial.
Mais jusqu’où soutenir un partenaire qui va mal? Camille Rochet, psychologue et auteure d’«Être un couple épanoui: (re)construire et entretenir sa vie à deux», fondatrice du site anoustous.com, et Julie Arcoulin, spécialiste en développement personnel et relationnel, répondent à la question.
Le propre du couple, c’est d’être partenaires, de pouvoir compter l’un sur l’autre, mais s’agit-il d’un soutien inconditionnel?
Julie Arcoulin: Je prends souvent cette image: quand on veut tendre la main à quelqu’un pour l’aider à se relever, il faut être solide sur ses appuis, ancré sur ses deux jambes, rester bien droit pour ne pas perdre l’équilibre en aidant l’autre à se relever. Sinon, l’autre vous entraînera dans sa chute et vous vous retrouverez tous les deux à terre.
Camille Rochet: Je me dois évidemment de soutenir mon conjoint – au quotidien comme en cas de cancer, dépression… – mais pas à tout prix. Les aidants aussi ont des besoins. Il faut savoir reconnaître ce qu’on peut apporter et ce qui est hors de notre portée.
Justement: jusqu’où soutenir sans s’oublier?
Julie Arcoulin: Il n’y a pas de réponse universelle. Il faut veiller à ce que ce ne soit pas trop pour vous. Être lucide: quelle est ma limite? Ai-je encore de l’énergie pour veiller à l’état de mon conjoint tout en veillant au mien? Et garder à l’esprit qu’à se dévouer corps et âme, on risque d’être dans la détresse, de s’oublier, de mettre en danger son travail, d’être plus agacé, fatigué.
Camille Rochet: Il est primordial pour soi, pour son couple, pour l’autre même, de ne pas se transformer en soignant. C’est dur, il faut prendre soin de soi, éviter un ton trop maternant ou paternaliste et déployer plutôt ses forces à entretenir une tendresse pour permettre au couple de continuer à exister.
Quelle frontière ne pas franchir?
Julie Arcoulin: Il est important de ne pas dépenser plus d’énergie que l’autre dans la résolution de son état. À un moment, être dans le sauvetage demande plus d’énergie à fournir. À bout, on court alors le risque de devenir maltraitant pour l’autre et de voir sa relation devenir toxique. Une autre question a son importance: ai-je les ressources nécessaires? Suis-je la bonne personne pour aider? On est partie prenante de notre couple, et il faut parfois savoir se tourner vers l’extérieur, un psychiatre par exemple, pour trouver de l’aide.
Camille Rochet: On oublie le réflexe qui nous pousse à prononcer cette petite phrase: «Je m’occupe de tout.» Statistiquement, c’est souvent les aidants qui s’effondrent avant ceux qui sont malades, on le voit trop souvent dans les hôpitaux. Les soignants doivent presque forcer le mari ou l’épouse à aller prendre du repos.
Il y a une comparaison que j’utilise souvent avec mes patients: mon conjoint est comme un baigneur sur le point de se noyer. Vais-je réussir à y aller et à le sortir de l’eau? Ou en plongeant, vais-je couler avec l’autre et obliger les secours à mettre en place un dispositif plus important pour nous ramener tous les deux au rivage?
Comment vivre l’arrêt des projets, le quotidien bouleversé?
Camille Rochet: Bien sûr, voir ses projets bouleversés, enterrés parfois, est difficile. On doit reporter celui de déménager, parfois des vacances ou même au quotidien, décommander des soirées entre amis. Mais le projet de couple, lui, ne s’arrête pas. Il faut dire à l’autre: ta responsabilité, ce n’est pas la dépression, c’est de mettre en œuvre tout ce que tu peux pour t’en sortir.
Julie Arcoulin: Il faut garder à l’esprit que les gens ne sont pas responsables de leur bagage génétique. On peut veiller à bâtir une manière de vivre ensemble saine, en discutant de choses et d’autres sans rapport avec la maladie: un documentaire, une actualité, un livre. La méditation est de plus en plus prescrite dans les parcours de soins, pourquoi ne pas transformer ça en un projet de couple?
Comment ne pas culpabiliser d’avoir envie de se plaindre quand l’autre est au plus bas?
Camille Rochet: On a le droit de se plaindre, avec bien entendu toute la bienveillance nécessaire, sans incriminer l’autre. On a le droit en tant que conjoint de se sentir triste, dépassé, énervé et de le dire. Si on ne peut plus partager ses émotions, on s’éloigne de l’autre.
Julie Arcoulin: L’idée d’une échelle des souffrances est terrible. J’ai le droit de souffrir de la situation, évidemment. Par ailleurs, la culpabilité est un syndrome de toute-puissance. Se sentir coupable revient à se dire qu’on est responsable de la maladie de l’autre. Et ce faisant, quand on prend toute la responsabilité pour soi, on dépossède l’autre.
Comment dire stop?
Camille Rochet: En verbalisant: «C’est trop dur là, je n’y arrive pas.» Avec toute la bienveillance du monde. Il faut que le conjoint malade comprenne que ce n’est non pas un rejet de lui mais une question de survie. Pour soi et son couple.
Julie Arcoulin: En disant stop! En se posant toutes ces questions que l’on a évoquées précédemment et, quand on sent que nos limites sont atteintes, le dire tout simplement: «C’est trop pour moi». C’est vraiment une chose à déconstruire que se dire qu’on va abandonner l’autre. Non, on ne l’abandonne pas, on se préserve au contraire. On fait en sorte, en ne franchissant pas nos limites, de pouvoir aller plus loin à ses côtés.“
Adresse utile :
Couple et Famille Genève Association au service du couple et de la famille, subventionnée par l’église catholique de Genève et l’état de Genève. Propose des consultations en conseil conjugal, thérapie de famille, travail de coparentalité et médiation familiale dans les situations de séparation, de divorce ou d’autres conflits familiaux. Consultations en français et anglais.
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