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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Familles en difficulté

Dépression postpartum – Une souffrance souvent ignorée


Lettre du mercredi 11 octobre 2023 - Source: Tribune de Genève



Cette semaine nous mettons en avant un article de la Tribune de Genève, du 29 septembre 2023 de Marie Maurisse “La souffrance des jeunes mères est souvent ignorée”.

 

“Plus de 20% des femmes qui viennent d’accoucher voient leur santé mentale gravement se détériorer. Mais en Suisse, les soignants tardent à les aider.

Quand Stéphanie évoque la naissance de sa fille, il y a cinq ans, ses souvenirs n’ont rien à voir avec les clichés véhiculés notamment par le cinéma – un amour immédiat pour le nouveau-né vagissant, des larmes de bonheur et la satisfaction immense d’être enfin maman. «Ce fut la descente aux enfers, constate au contraire cette Genevoise, qui s’exprime sous un prénom d’emprunt, mais témoigne avec beaucoup de courage. Dès le premier soir après l’accouchement, j’ai été prise de phobie d’impulsion. J’imaginais jeter ma fille par terre lorsqu’elle criait. Et puis je n’arrêtais pas de pleurer, alors que d’ordinaire je suis très joyeuse.»

Sur le moment, personne ne soupçonne que quelque chose ne va pas. Et de retour à la maison, son état empire. «J’avais des angoisses terribles lorsque j’étais seule avec ma fille. Je n’arrivais même plus à sortir pour aller à la boîte aux lettres, se souvient-elle. Puis j’ai commencé à avoir des idées noires, à avoir envie d’en finir. C’est là que j’ai vraiment compris que j’étais malade.»

20% des mères
Entre 15 et 20% des mères souffrent d’une dépression périnatale, soit une femme sur huit. La pathologie n’épargne pas non plus les pères. Mais en Suisse, la maladie passe encore trop souvent sous les radars. En 2021, l’Office fédéral de la statistique a recensé 236 hospitalisations avec ce diagnostic – un chiffre minuscule, alors que plus de 89’000 enfants sont nés cette année-là.

Au-delà de ces situations extrêmes, combien de mères ont été rongées par la dépression, sans oser en dire un mot? Des dizaines de milliers, répond Dépression Postpartale Suisse. Cette association se bat depuis plusieurs années pour faire connaître la maladie et aider au quotidien celles et ceux qui en sont victimes. Les besoins sont immenses: elle constate que les demandes de soutien ont plus que doublé depuis 2020.

Sur le sujet, la parole s’est quelque peu libérée, essentiellement grâce aux réseaux sociaux. Les autrices des comptes Instagram comme Mal de mères, Le quatrième trimestre ou Post-partum ta mère ont ouvert la voie en bousculant l’image de la maternité parfaite. Pour elles, enfanter peut aussi être un cauchemar. Cette révélation a soulagé des milliers de leurs semblables, longtemps contraintes de sourire béatement tout en se sentant terrorisées par cette responsabilité nouvelle: élever un petit être totalement dépendant. Une aliénation, estimait Simone de Beauvoir dans «Le deuxième sexe».

Les réseaux sociaux seraient-ils en avance sur leur temps? Possible, car dans la réalité, les femmes qui ont témoigné auprès de «24 heures» ont toutes été confrontées à des soignants peu renseignés, voire très inadéquats. «Ma sage-femme a bien vu que ça n’allait pas, mais elle m’a conseillé de m’inscrire à un cours de gym poussette alors que j’arrivais à peine à me lever, regrette Stéphanie. Elle m’a aussi énormément poussée à continuer l’allaitement, alors que cela a grandement contribué à mon mal-être…»

Comment se fait-il que cette soignante n’ait pas détecté le malaise profond de cette jeune mère? «Les sensibilités varient selon les professionnelles, admet Laurence Juillerat, présidente de la section Vaud de la Fédération suisse des sages-femmes. Nous avons pourtant enrichi la formation de base, ainsi que celle continue, avec des modules sur la santé mentale. Cependant, il peut nous arriver de passer à côté d’une situation, tant le sujet est complexe.»

C’est que le tabou est encore très puissant: celle qui devient mère n’ose pas dire sa tristesse, de peur d’être jugée. «Ce qui vient en premier chez la patiente, c’est la culpabilité, parce qu’elle a honte d’être triste alors qu’elle devrait être heureuse, constate Mathilde Morisod, médecin adjointe et cheffe de la filière pédopsychiatrie de liaison au CHUV. Et puis se met parfois en place un cercle vicieux: elle pense qu’elle n’est pas capable de prendre soin de son enfant, et que celui-ci ne l’aime pas…»

Au CHUV, les personnes en dépression postpartum sont prises en charge en ambulatoire, par le Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent – car si la maman va mal, il faut aussi traiter son lien avec le bébé. L’hôpital ne dispose pas de chiffres sur le nombre de cas traités chaque année. Pour la spécialiste, cette image d’une maternité heureuse fait partie de l’inconscient collectif. «Cela explique autant la difficulté pour ces jeunes mères de parler de leur souffrance que celle des soignants à l’entendre», ajoute-t-elle.

Black-out
C’est justement au CHUV qu’Elodie, 35 ans, a accouché de sa fille il y a presque trois ans – dans la douleur, les cris et le sang. Une grossesse vécue avec angoisse, loin de sa famille, et une délivrance longue et traumatique, en plein Covid-19, ont précipité la jeune femme dans le noir pendant près de deux ans. «Je suis tombée d’autant plus bas que j’avais beaucoup sacralisé cette maternité», réfléchit-elle. La dépression postpartum, personne ne lui en avait parlé lors de son parcours médical, comme si cela n’existait pas.

Mais lorsque son enfant naît, le supplice est tel que son cerveau se débranche. «J’ai fait un black-out. Je ne ressentais plus rien, j’étais déconnectée de mes émotions.» Quelques heures plus tard, alerté par les équipes médicales, un psychiatre passe la voir et lui demande si elle a déjà pris des drogues… «Je l’ai fichu dehors, c’était lunaire. C’est à ce moment-là que j’aurais dû être aidée, voire hospitalisée. Cela m’aurait fait gagner beaucoup de temps.»

Mais Elodie rentre chez elle comme si de rien n’était, avec son couffin et son conjoint, qui repart bientôt travailler. «Une fois passée la porte de chez moi, continue-t-elle, j’ai eu une impression d’«inquiétante étrangeté», comme disait Freud. Puis je me suis sentie perdre pied. En pleine nuit, j’entendais une voix qui me disait que ma fille ne respirait plus. J’étais en hypervigilance, tout le temps sur le qui-vive. Ma fatigue était extrême, je vivais l’enfer.»

À la maison, sa sage-femme ne prend absolument pas la mesure de la situation. Elodie va alors consulter une infirmière au Centre médico-social situé près de son domicile, à Lausanne. «Il faut vous reprendre, madame, m’a-t-on dit, comme si j’avais un rhume.» Et son pédiatre? «Je n’ai pas osé lui parler de mon mal-être, par peur qu’il me soupçonne de maltraitance envers ma fille», répond-elle. Nombreuses sont les mères qui craignent d’être ainsi mal jugées.

Via les réseaux sociaux, Elodie se documente, et finit par trouver l’adresse d’une psychologue qui met en place un suivi, en priorité pour son stress post-traumatique. Puis elle contacte les associations spécialisées afin de partager son vécu, comprenant qu’elle vit une dépression sévère. «Ce n’est que depuis peu que j’ai regagné mon corps, lâche-t-elle. Je suis plus sereine, même si cela reste difficile. Sans la solidarité féminine, je ne m’en serais pas sortie.»

D’autres parents en arrivent à des extrémités. «L’Illustré» racontait récemment la mort dramatique de la musicienne valaisanne Priscilla Mayor, qui s’est jetée du pont de Gueuroz en mai dernier. La naissance de son deuxième fils l’avait plongée dans une dépression grave, prise à la légère par les médecins.

Pas de places à l’hôpital
Si Zurich dispose d’un Service de santé mentale mère-enfant avec quinze places depuis plus de dix ans, les HUG n’ont, eux, que deux petites places. Et dans le canton de Vaud? Il n’y a rien depuis la fermeture d’une unité dédiée à l’hôpital psychiatrique de Prangins. En cas d’urgence, les parents en souffrance sont accueillis en Psychiatrie générale, sans leur nouveau-né…

Les professionnels, comme les associations, déplorent tous le manque de volontarisme politique sur le sujet – comme si la maternité était un sujet secondaire. Stéphanie, elle, a fini par être hospitalisée en Psychiatrie aux HUG, après un long parcours du combattant. Pendant deux semaines, elle réapprend à vivre, fait de petites sorties. «La dépression m’avait même fait perdre le goût des aliments, que j’ai retrouvé petit à petit», se souvient-elle. Sa petite la rejoint rapidement et, ensemble, elles resteront encore un mois à l’hôpital. «Les médecins me filmaient avec elle, pour me montrer les images et arriver à me convaincre que j’étais une bonne mère. Cela m’a sauvée.»

Aujourd’hui, à 34 ans, elle se sent bien, plus ouverte sur les fragilités d’autrui. Bénévole à l’association Dépression Postpartale Suisse, elle tente d’aider les autres femmes qui souffrent de ce mal, pour qu’elles se sentent moins seules. La sororité, comme rempart aux insuffisances du système de soins.”

 

Daddyblues existe aussi chez les papas, voici une vidéo de la RTS :
https://www.rts.ch/play/tv/lactu-en-video/video/la-depression-post-partum-des-peres-une-souffrance-meconnue?urn=urn:rts:video:10287053

 

Adresses utiles :

Dépression Portpartale Suisse : 130 bénévoles sont très proactives: elles tiennent une permanence téléphonique (021 525 77 51), ont une liste de médecins formés auprès desquels elles peuvent prendre rendez-vous, elles peuvent aussi venir au domicile de la personne pour lui faire à manger ou garder son bébé le temps qu’elle aille consulter. Et animent aussi des groupes de parole en ligne.

HUG – Santé psychique et périnatalité – Entretien prénatal, bilan en ligne

Guide des adresses utiles à Genève “Dépression périnatale”

 



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