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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Le goût ça s’apprend


Lettre du mercredi 5 octobre 2016 - Source: Echo Magazine



Les petits Japonais adorent les brocolis alors que les Américains les vomissent. La génétique joue un rôle, mais plus encore les coutumes alimentaires. Or, à tout âge, on peut apprivoiser de nouveaux goûts, disent les spécialistes. Pour le film d’animation Vice-versa, sorti l’année dernière, les studios Disney ont pris soin d’adapter son contenu aux zones de diffusion. Ainsi, selon les pays, le père de l’héroïne rêve de hockey ou de football. Et, alors que partout ailleurs la petite héroïne vomit à l’idée de manger des brocolis, au Japon ils ont été remplacés par des poivrons verts. «Au Japon, les enfants adorent les brocolis», explique le réalisateur Pete Docter. «Nous leur avons alors demandé quel légume les dégoûtait le plus et ils ont répondu: le poivron vert.» En Europe, la scène du brocoli est facilement compréhensible par les enfants même s’ils n’ont pas aussi mauvaise réputation qu’en Amérique du Nord où c’est l’aliment détesté par excellence. Là-bas, le dégoût du brocoli est si répandu qu’il a fait l’objet de plusieurs études scientifiques.

Un gène contre le brocoli
La première cause de cette aversion au brocoli peut être génétique. En effet, les légumes crucifères comme le brocoli, le cresson, le navet ou les choux contiennent des glucosinolates, une substance amère que seules certaines personnes détectent au goût: elles possèdent un récepteur spécifique sur leurs papilles qui leur permet d’en sentir l’amertume. La présence ou l’absence de ce récepteur est déterminée par les gènes. Ainsi, selon qu’on possède deux, un ou aucun capteur sensible aux glucosinolates, le brocoli peut sembler très, moyennement ou pas du tout amer. La nutrigénétique est une science encore balbutiante. Elle pourrait, dans un futur plus ou moins proche, mener à d’autres découvertes du même ordre et expliquer certaines préférences alimentaires. Pourtant, elle n’explique pas pourquoi les Japonais aiment les brocolis et pas les Nord-Américains. Car dans les deux populations, les personnes à même de sentir son amertume forment une majorité. Elles sont même plus nombreuses au Japon: 70% des Occidentaux perçoivent les glucosinolates contre 90% des Asiatiques.

Amer égal poison
D’un point de vue évolutif, l’aversion pour l’amer est compréhensible: l’amertume permet de détecter des toxines dangereuses contenues dans certaines plantes et d’éviter de mourir empoisonné. Ainsi les bébés répondent-ils souvent très négativement à l’amer, mais aiment tout de suite le sucré, synonyme d’absence de risques. La répugnance des enfants pour l’amer en général, et pour les légumes en particulier, fait le désespoir de nombreux parents. Et elle a des effets sur l’alimentation. En Suisse, seuls 10,3% des 11-15 ans atteignent l’objectif recommandé de plusieurs fruits et légumes par jour, révèle une étude menée par Addiction Suisse parue ce printemps. En outre, 20 % des 15- 24 ans présentent un excès pondéral. C’est un problème de santé publique.

Mieux comprendre les mécanismes du goût pourrait donc contribuer à corriger les choix alimentaires des enfants. Pour aimer le café, les adultes ont dû s’y reprendre à plusieurs reprises, généralement pendant l’adolescence et souvent à grand renfort de lait et de sucre. C’est en effet en s’exposant de façon répétée à son goût amer qu’on commence à l’apprécier. Ce processus s’explique par un principe de sécurité biologique: le corps doit avoir goûté plusieurs fois et en petites quantités à un aliment pour l’accepter comme inoffensif, voire délicieux. Par contraste, il suffit d’avoir été malade une fois en mangeant des fruits de mer ou des champignons pour que le corps se révulse à leur simple mention.

Ces jolies baies rouges
Le corps des enfants prend les mêmes précautions, à la différence qu’il n’est pas familier avec autant d’aliments. Quand les bébés commencent à goûter à la nourriture solide, vers l’âge de quatre à six mois, ils sont peu difficiles, montrent une majorité de recherches. C’est vers 18 mois que le problème commence à se poser: même des enfants habitués à une grande diversité d’aliments refluent alors de toucher aux aliments nouveaux. Appelé néophobie alimentaire, ce phénomène a lui aussi des causes biologiques. Une fois que l’enfant sait marcher et peut donc se déplacer à sa guise, le risque d’empoisonnement augmente. La néophobie alimentaire intervient alors pour le dissuader de goûter, par exemple, à ces jolies petites baies rouges qui pourraient potentiellement le rendre très malade. C’est entre 18 et 24 mois que la néophobie alimentaire est la plus prononcée.

Or, beaucoup d’adultes conservent leurs goûts et dégoûts d’enfants et se nourrissent en fonction d’eux, remarque Ree Wilson, historienne et journaliste britannique qui étudie notre relation à la nourriture. Dans son dernier livre, paru fin 2015, First Bite (première bouchée), elle démontre qu’on peut assez facilement faire évoluer notre goût afin d’avoir autant, voire plus, de plaisir à manger un brocoli qu’un biscuit au chocolat. «Une fois que nos préférences sont dans le bon ordre, la nutrition se débrouille toute seule», remarque-t-elle. Plus besoin, alors, de compter les calories. En effet, de plus en plus d’études montrent que, comme pour le café, il faut manger plusieurs fois quelque chose en petites quantités pour l’apprécier.

Une dizaine de fois
Ainsi, en faisant goûter aux bébés le plus d’aliments possibles, présentés plusieurs fois de suite en petites quantité, nous leur apprenons à les aimer. Et plus l’alimentation de la mère est variée pendant l’allaitement, plus son enfant acceptera facilement de nouveaux aliments une fois sevré. Ainsi, si les gènes influencent un peu nos préférences alimentaires, c’est l’habitude qui joue le plus grand rôle. Et notre statut d’omnivore nous permet d’apprendre à tout aimer. Reste à expliquer cela aux petits Américains.

Une école pour former le goût
Dans un article publié en mars dans la revue PLOS One, Andrea Maier-Nöth, du Centre de recherche Nestlé de Lausanne, et ses collègues du Centre des sciences du goût et de l’alimentation de Dijon ont suivi les mêmes enfants pendant six ans: à quinze mois, les enfants qui avaient été allaités mangeaient et aimaient plus de légumes que ceux qui avaient été nourris au biberon. A quinze mois comme à trois ans, les enfants continuaient à aimer les légumes qu’ils n’avaient pas aimés au début, mais qu’ils avaient appris à aimer en y étant exposés de façon répétée. A six ans, les enfants qui avaient goûté à une grande variété de légumes mangeaient de nouveaux légumes plus facilement que les autres.

Pour les adultes aussi
Les enfants sont particulièrement réceptifs à cette méthode utilisée avec d’excellents résultats dans les hôpitaux pour enfants; en deux semaines, des enfants qui n’aiment que le jambon et les pâtes peuvent découvrir et à apprécier des dizaines de nouveaux aliments. La méthode fonctionne avec les adultes aussi. En Suède, une école expérimentale pour les personnes âgées a été mise en place. A force d’activités attrayantes en cuisine et à table, les participants, des hommes âgés de plus de huitante ans, ont fini par aimer et choisir volontairement de manger des légumes aussi divers que le fenouil et les patates douces. Car au goût s’associent aussi des expériences positives ou négatives, ce qui explique notre faiblesse pour les glaces et les gâteaux, généralement associés à des souvenirs heureux.

Extrait de Echo Magazine Aude Pidoux


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