Grandir – Cinéma genevois
Lettre du mardi 12 novembre 2024 - Source:
Cette semaine nous reproduisons un article de Léa Frischknecht dans la Tribune de Genève du 05.11.2024 “Séverine Barde filme avec tendresse la vie d’une classe”.
La réalisatrice a suivi des élèves d’une école des Pâquis de la 1P à la 4P. «Grandir» sort en salle.
“Tout le monde se rappelle avec tendresse, ou non, de son premier maître ou de sa première maîtresse d’école. Si elles laissent des souvenirs parfois flous, parfois désagréables ou emprunts de nostalgie, les premières années d’apprentissage sont fondatrices dans le parcours scolaire et personnel de chacun. C’est cette période charnière que Séverine Barde immortalise avec son film «Grandir», qui sortira en salle le 6 novembre.
Durant quatre ans, la réalisatrice a suivi une classe de l’École De-Chateaubriand, aux Pâquis. Des larmes de la première rentrée scolaire aux nouvelles amitiés, en passant par les progrès en lecture, les courses d’école, le changement de maîtresse ou les adieux aux camarades qui déménagent, Séverine Barde offre une immersion totale dans un microcosme où les émotions du quotidien ne sont pas si éloignées de celles des grands. Et propose au public de voir, comme le nom du film l’indique, grandir les adultes de demain.
Séverine Barde, d’où vous est venue l’idée de ce film?
Tout part de conversations avec Nahed, l’une des deux enseignantes du film. Lorsqu’elle me racontait son métier, j’étais passionnée par son rapport horizontal avec les enfants, sa volonté de les considérer comme des semblables et de leur donner une forme d’autonomie. Cela m’a donné l’idée de ce film. Ensuite, la direction de l’École de Chateaubriand m’a beaucoup soutenue pour les autorisations auprès du Département de l’instruction publique (DIP) ainsi que des parents.
Comment les parents ont-ils réagi?
Nous avons eu des échanges avant la rentrée pour qu’ils puissent exprimer leurs inquiétudes. Ils étaient évidemment soucieux de ce qui allait être montré, que ce ne soit pas irrévérencieux pour leurs enfants. Le projet n’aurait pas pu être possible sans l’accord de tous les parents. Pendant les quatre ans de tournage, j’y suis retournée chaque année pour discuter et faire le point avec eux. Nous avons eu d’excellentes relations.
Comment s’est déroulé le tournage?
Nous étions généralement trois sur place, un caméraman, un ingénieur du son et moi. Nous avons tourné environ quinze jours par an et c’est déjà beaucoup car nous avions plus de deux cent cinquante heures de rush à la fin! Mais comme nous avons monté au fur et à mesure, cela nous a permis d’affiner, de tirer des fils qui se construisent dans le temps.
Ce film, c’est avant tout un travail d’équipe et je tiens à souligner que la monteuse, Loredana Cristelli, a vraiment œuvré comme une dentellière. C’est évidemment un peu frustrant mais nous avons également dû renoncer à montrer certains passages. Il y a encore de belles séquences dans les cartons!
Trois adultes dans une salle de classe, avec une caméra et un micro, ça ne passe pas inaperçu. Et pourtant, les enfants ne regardent jamais la caméra. Vous savez vous faire oublier!
Ça nous a surpris aussi, on pensait qu’il faudrait plus de temps d’adaptation. Mais je ne dirais pas que nous avons été oubliés, plutôt intégrés. Nous avons vraiment essayé d’être discrets et d’avoir un regard bienveillant car nous étions là pour comprendre et nous émerveiller. J’ai aussi pu repérer que, quand les enfants ne voulaient pas être filmés, ils se taisaient. Et ça m’a plu car on ne leur volait pas d’instants, ce qu’ils nous disaient, ils nous le donnaient.
Le film débute à la rentrée scolaire 2019 et, moins d’un an après, le semi-confinement tombait. Un événement que vous n’aviez pas anticipé…
Non et dans un premier temps, je me suis dit que c’était la poisse. Mais finalement cet épisode, et toute la dureté qu’il a engendrée, raconte aussi quelque chose de leur parcours. Certains petits ont ressenti un véritable manque de ne plus venir à l’école. D’autres, à l’inverse, commençaient tout juste à s’habituer à la vie scolaire et ont été stoppés dans leur élan. Lors de la deuxième vague, le port du masque obligatoire a aussi amené un aspect particulier dans les relations entre les enfants et leur enseignante, surtout pour ceux qui ne parlaient pas bien le français.
L’aspect multiculturel de cette classe ressort d’ailleurs beaucoup dans votre film.
Oui, c’est aussi ce qui m’intéressait. Les écoles primaires des Pâquis battent le record romand du nombre de nationalités représentées et des langues parlées. Les niveaux socioéconomiques des élèves y sont également très différents.
Pourquoi cette durée de quatre ans?
J’ai choisi de me limiter à ce qu’on appelle le cycle élémentaire à Genève car c’est un socle, une période fondatrice. On passe des tout-petits à un âge où on dirait presque des préadolescents pour certains. De plus, l’École de Chateaubriand s’y prêtait bien car elle n’accueille les élèves que jusqu’à la 4P.
Le film se termine d’ailleurs par les premières épreuves cantonales…
Oui et on comprend que les élèves, après avoir reçu les outils et construit le socle de leur scolarité, vont alors rentrer dans quelque chose de plus normé. C’est presque une forme d’innocence qui se perd. Là, on rigole plus, c’est le début de la course pour réussir.
Au final, ce n’est pas tant un film sur l’école mais sur la manière dont on se construit et on évolue en tant qu’humain. L’écrin de la classe, où les enfants sont ensemble et entourés de très peu d’adultes, est un lieu privilégié pour observer cela.
Les élèves et leurs parents ont-ils vu le film? Quelles ont été leurs réactions?
Oui, nous avons organisé une projection en juin 2024. Les enfants ont beaucoup ri d’eux-mêmes, ils étaient émus, se souvenaient de certains moments et en ont redécouvert d’autres. Les familles, elles, ont eu certaines surprises dans les attitudes de leurs enfants mais étaient plutôt touchées. Après tout, rares sont les parents qui peuvent voir comment leurs enfants interagissent à l’école.”
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