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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Elever des enfants

La garde des petits-enfants : un hobby comme un autre ?


Lettre du mercredi 26 avril 2023 - Source: Avenir Familles



Cette semaine nous publions un article de Marie-Eve Zufferey, Myriam Girardin et Olga Ganjour , en lien avec la prochaine journée des Assises de la Famille 2023 et qui traitera de la grand-parentalité et des liens intergénérationnels.

 

LA GARDE DES PETITS-ENFANTS : UN HOBBY COMME UN AUTRE ?

Ils s’investissent dans la vie associative, prennent part à des activités culturelles, s’inscrivent à des cours de développement personnel, font du sport, voyagent et portent une attention particulière à leur réseau amical, telles sont quelques-unes des activités pratiquées par les jeunes retraités en Suisse (entre 65 et plus ). Ceux-ci n’entendent pas faire rimer retraite professionnelle avec retrait de la société, bien au contraire, ils tendent à être les dignes représentants du paradigme de l’ « active ageing » ou, en français, le « vieillissement actif », développé par les gérontologistes dans les années 60 et qui promeut l’engagement actif des personnes âgées dans la société afin de se maintenir en bonne santé physique et mentale » (Pfeiffer, 1974; Rowe & Kahn, 1987 ; Walker, 2002).

Quelle place occupe la famille et les liens intergénérationnels chez ces seniors nés à la fin des années 50, qui partagent finalement avec les plus jeunes un désir d’autonomie individuelle par rapport au groupe familial et un attrait pour le développement et l’épanouissement de soi.

Contexte de la recherche

L’Observatoire des Familles de l’Université de Genève a analysé les relations familiales intergénérationnelles du point de vue des seniors à travers la question notamment de la garde des petits-enfants par leurs grands-parents, mais aussi plus largement du soutien des aînés à leur descendance. Cette analyse est basée sur les résultats de données quantitatives ; sur les propos de deux groupes de discussion organisés à l’Université de Genève en 2023 avec des professionnels travaillant dans le domaine de la petite enfance ou des personnes âgées, ainsi que sur des entretiens en face à face avec des grands-mères gardiennes réalisés aussi en parallèle avec les mères des enfants gardés.

Les différents entretiens menés à la fois avec les familles et les professionnels montrent que la garde des petits-enfants par les grands-parents se situe à l’interface de différentes normes sociales et de valeurs, qui entrent parfois en contradiction. Il y a d’abord l’importance relative que chacun accorde à la famille, mais aussi certaines normes , comme la nécessité de l’entraide familiale ou au contraire le respect de la liberté individuelle, qui sous-tendent les comportements individuels et jouent un rôle dans le choix de garder ou non ses petits-enfants.

Centration sur la famille : Une des conditions de la garde

Les données statistiques (EFG, 2018) montrent que 43% des personnes vivant à Genève et ayant des petits-enfants ne les gardent pas. Même si ce chiffre peut regrouper différentes réalités (petits-enfants déjà grands qui n’ont pas besoin d’être gardés, activité professionnelle des grands-parents, état de santé défaillant, éloignement physique, conflits familiaux…), il n’en reste pas moins que la garde des petits-enfants n’est pas un phénomène automatique. Elle s’inscrit dans des familles qui entretiennent des liens familiaux proches et dont tous les membres accordent une importance centrale à la famille. Comme le dit, Joséphine , une des grands-mères interviewée dans le cadre de la recherche de l’Observatoire des Familles:

« C’est important ce lien familial. On se voit de temps en temps, quand il y a des anniversaires. On est tous ensemble ». (Joséphine)

Lors des groupes de discussion, les professionnels ont également relevé l’importance des liens intergénérationnels notamment comme soutien aux plus âgés. Ils ont toutefois spécifié que ces liens ne s’improvisaient pas, mais se construisaient tout au long du parcours vie à travers le partage régulier de temps forts familiaux :

« Ces questions de dynamiques familiales se construisent tout au long de la vie. Il ne s’agit pas juste de « je vais aller faire les courses » ou « je vais aller faire les paiements ». Rien que la question du rythme de l’année, des visites dans l’année, de la présence, des anniversaires, des moments importants du calendrier. Effectivement, ça fait partie d’un tout. » (Professionnel travaillant dans un EMS)
La garde des petits-enfants par leurs grands-parents est le fait plutôt de familles entretenant déjà des liens de proximité et qui accordent une certaine valeur aux échanges familiaux.
L’entraide familiale : Une norme prégnante
Les grands-mères gardiennes interviewées inscrivent leur action auprès de leur(s) petit(s)-enfant(s) dans une vision traditionnelle du rôle maternel avec une volonté revendiquée de rendre service à leur progéniture à travers la garde, comme l’exprime Carole :

« Je parle de la tranquillité pour les parents. Quand ils sortent du travail, s’il y a de la circulation ou s’ils doivent faire des commissions ou quelque chose, ils ne doivent pas courir, parce qu’il y a un horaire pour prendre les enfants. » (Carole)

Dans ce sens, s’occuper de ses petits-enfants prolonge la fonction parentale de soutien instrumental à ses enfants. Cette norme d’entraide familiale, encore très présente en Suisse notamment à cause du manque d’infrastructures de garde des jeunes enfants, entre en contradiction avec celle de l’autonomie individuelle. Les grands-mères interviewées dans notre recherche, ainsi que les professionnels qui se sont exprimés lors de nos groupes de discussion résolvent cette difficile équation en mettant résolument en avant le caractère librement choisi de la garde.

Le libre choix versus les obligations familiales

Il faut relever que les grands-mères, ainsi que les professionnels interviewés ne justifient pas la garde des petits-enfants, par une obligation familiale, mais au contraire par la notion du libre choix. Dans nos sociétés très individualisées, il est difficilement acceptable de reconnaître que l’on se sent obligé de faire quelque chose, surtout dans un cadre privé. Si les grands-mères veulent rendre service, elles estiment avoir choisi de le faire et ne pas être prisonnières d’une norme d’entraide familiale qui leur aurait été apprise par les générations précédentes, comme l’indique Marianne dans l’extrait suivant :

« On est là pour aider nos enfants. On a aussi eu nos parents, qui nous ont rendu service, mais ça n’a jamais été…. Je ne peux pas dire une contrainte, parce que c’est un terme un peu dur, ça a été un plaisir. » (Marianne)

Pour certains professionnels interrogés, les liens de sang au caractère obligatoire seraient le reflet d’une société traditionnelle, qui tendrait à disparaître pour laisser place à d’autres formes sociales, qui valoriseraient les liens choisis plus authentiques, mais aussi plus faciles à rompre.

« On parle vraiment d’une image de la société traditionnelle avec l’obligation de lien, l’obligation d’entraide, alors qu’en fait peut-être que la société a changé et que maintenant on est plus sur des liens d’amitié ou des relations beaucoup plus authentiques. On est dans une société où finalement on se rend compte qu’on peut avoir des grands-parents d’adoption et que peut-être c’est même plus valorisant. Du fait aussi que les gens sont parfois sur différents continents, on développe d’autres formes. Je crois que la notion d’obligation est en interrogation actuellement à quelque part ». (Professionnelle association)

La recherche du plaisir individuel à travers la garde

Finalement, la principale justification du choix de la garde des petits-enfants est le plaisir que cela procure. Bonheur de partager des moments d’affection avec un enfant, sentiment de se sentir redynamisé par cette vie naissante au moment où se termine souvent la vie professionnelle, les grands-mères gardiennes affirment profiter de leur descendance et non l’inverse, comme l’explique Marianne :

« Je voulais profiter de mes petits-enfants, mais pour moi c’est vraiment un plaisir et puis ça rend aussi service. » (Marianne)

Pour que cela reste un plaisir, la garde des petits-enfants doit rester limitée au niveau de la durée et de la fréquence. Les données de l’enquête EFG, 2018 montrent que la plupart des grands-parents gardent leurs petits-enfants environ 8 heures par semaine. Ce caractère ponctuel et bien cadré permet aux aînés de pratiquer d’autres activités en plus de la garde familiale en procédant à quelques arrangements. L’entraide familiale et le développement des liens familiaux sont donc envisagés comme une source de plaisir et d’épanouissement personnel au même titre que d’autres pratiques.

La recherche de l’Observatoire des Familles sera présentée le 8 juin prochain à la Maison internationale des associations (15, rue des Savoises ) lors des Assises des Familles. Cette journée consacrée à la thématique de la grand-parentalité et des liens intergénérationnels comprendra également deux autres conférences dans la matinée des professeur.e.s Michel Oris (Université de Genève) et Vittoria Cesari Lusso (anciennement à l’Université de Neuchâtel et de Lugano), ainsi que des ateliers de discussion l’après-midi.

Le programme complet de la journée des Assises se trouve sur le site d’Avenir Familles : https://www.avenirfamilles.ch/assises

Pour plus d’informations, vous pouvez également écrire à l’adresse : marie-eve.zufferey@unige.ch

Marie-Eve Zufferey, Myriam Girardin et Olga Ganjour

Bibliographie

Pfeiffer, E. (Ed.) (1974). Successful aging : A conference report. Durham : Center for the Study of Aging and Human Development, Duke University.

Rowe, J. W., & Kahn, R. L. (1987). Human aging: Usual and successful. Science, 237(4811), 143-149.

Walker, A. (2002). A strategy for active ageing. International social security review, 55(1), 121-139.

 

[1] La santé mentale et physique est une composante essentielle du processus de vieillissement. Elle délimite le troisième du quatrième âge, qui est une étape marquée par une fragilisation accrue des personnes vieillissantes, pouvant se manifester pour certaines par un déclin de leur santé et la perte d’autonomie.

[2] https://www.unige.ch/sciences-societe/socio/fr/recherche/observatoire-des-familles/

[3] Enquête sur les familles et les générations (EFG) 2018 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/enquetes/efg.html

[4] Le soin aux petits-enfants étant encore souvent dédié aux femmes, seules des grands-mères ont été interviewées dans le cadre de cette recherche. Néanmoins, les chiffres montrent que la garde est souvent le fait du couple grand-parental, chacun restant dans des attributions différentes genrées (soin aux enfants pour les femmes, activités ludiques et transport pour les hommes)

[5] Une norme est une règle de conduite, qu’il convient de suivre au sein d’un groupe social. Elle désigne ce qui est répandu, conforme à la moyenne.

[6] Enquête sur les familles et les générations (EFG,) 2018

[7] Tous les prénoms cités dans cet article sont fictifs


Livre de la semaine


  • Grands-parents, à vous de jouer

  • Grands-parents. La famille à travers les générations

  • Histoire des grands-parents

  • Lettres aux nouveaux grands-parents

  • MythoMamie


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