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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Grand-parentalité

LA SOLITUDE DES SENIORS : UNE ABSENCE DE RÔLE ? – Les Assises 2024


Lettre du mercredi 8 mai 2024 - Source: Avenir Familles



Cette semaine nous publions un article de Marie-Eve Zufferey, Myriam Girardin et Olga Ganjour de l’Observatoire des Familles, en lien avec la prochaine journée des Assises de la Famille du 4 juin 2024 et qui traitera de la solitudes chez les seniors.

 

LA SOLITUDE DES SENIORS : UNE ABSENCE DE RÔLE ?

Avec la montée de l’individualisme dans les sociétés occidentales au début du XXème siècle, le lien social est devenu plus ténu. En effet, l’individualisme exacerbe le sentiment de singularité de l’individu en le définissant comme « un être moral, indépendant, autonome et délié du collectif » (Lalive d’Epinay, 1992). Cette norme sociale vers l’autonomisation de chaque personne étant très forte, elle renforce le sentiment de solitude qui accompagne l’individu de manière latente tout au long de sa vie (Quinodoz, 1991). A partir de là, certains événements du parcours de vie peuvent augmenter ou non le sentiment de solitude. C’est particulièrement le cas de ceux qui sont associés à une coupure ou une séparation. Le passage à la retraite, le décès du partenaire ou de proches, la maladie, la perte d’autonomie jusqu’à l’entrée en institution sont des événements, qui bouleversent la vie d’une personne âgée et restreignent son cadre relationnel.

A partir de 55 ans environ, les individus voient leurs rôles sociaux et familiaux se modifier, voire perdent certains rôles. Est-ce que ces pertes de rôle, synonymes de rupture dans le parcours de vie, vont de pair avec l’accroissement d’un sentiment de solitude et d’isolement chez certains seniors ?

Contexte de la recherche

L’Observatoire des Familles de l’Université de Genève a analysé entre 2023 et 2024 le sentiment de solitude et l’isolement des seniors, ainsi que leurs liens familiaux. Cette analyse est basée sur les résultats de données quantitatives , ainsi que sur les propos de professionnel.les travaillant avec des seniors et rassemblé.es dans trois groupes de discussion organisés à l’Université de Genève en 2023. Lors de ces entretiens, les professionnel.les ont souligné la perte des rôles sociaux et familiaux comme un facteur d’isolement. Le présent article est basé sur les expériences professionnelles et les témoignages des acteurs.trices de terrain interviewé.es.

La perte du rôle professionnel

La fin de la vie professionnelle entraîne une coupure des liens professionnels, qui souvent ne sont pas assez centraux pour perdurer dans le temps. Comme le dit le/la professionnel.le, ci-dessous, la moitié des liens d’une personne qui travaille sont de nature professionnelle :

« Moi, j’ai eu personnellement des personnes très jeunes, des jeunes retraités, qui ont mal vécu le passage, la coupure avec le monde professionnel. Une fois que la personne arrive à la retraite, elle arrête le 50% des liens. » (Entretien 21.11.23)

Le passage à la retraite favorise donc l’isolement particulièrement en Suisse, pays où les personnes accordent une très grande importance à leur rôle professionnel et parfois même se définissent par leur travail selon ce/cette professionnel.le interviewé.e :

« Je trouve que le rôle des personnes est souvent défini par leur travail, la plupart du temps, et justement à l’âge de la retraite, les gens se posent la question de leur rôle dans la société. Je trouve que les personnes âgées ont tendance à se dire « ah et bien, je n’ai plus rien à apporter à la société, donc je m’isole. » (Entretien 28.11.23)

Dans ce cas, l’isolement découle à la fois d’une diminution effective des liens, mais également d’un sentiment d’inutilité, qui entraine le retrait de la vie sociale de la personne retraitée.

Changement des rôles familiaux

Avec le départ des enfants du domicile parental, les parents, à partir de 50 ans, sont amenés à revoir le rôle central qu’ils avaient auparavant au sein de la famille, même s’ils restent des soutiens importants pour leurs enfants dans la transition à la vie adulte. A la naissance des petits-enfants, nombreux sont ceux qui souhaitent s’en occuper et qui trouvent dans le rôle de grand-parent gardien une source de plaisir, mais aussi un sens à leur existence dans le soutien qu’ils fournissent ainsi à leurs enfants devenus parents à leur tour. Avec l’allongement de l’espérance de vie, c’est vers 70-75 ans, que ce rôle s’allège, les petits-enfants devenant à leur tour autonomes. Selon ce/cette professionnel.le interviewé.e lors des entretiens, les seniors vivent souvent deux ruptures : une professionnelle et une autre familiale :

« Il y a la retraite où ils ont l’impression de perdre un rôle et de ne plus exister dans la société, mais il y a une deuxième étape, en fait, que souvent on minimise […] On a dans la société actuelle de plus en plus de personnes âgées, qui vont s’occuper des petits-enfants. C’est vrai qu’ils s’approprient ce rôle-là à la retraite et puis, il y a une deuxième perte de rôle, pas forcément aussi marquée qu’avant, mais qui ressort de plus en plus. En fin de compte, ils n’ont pas forcément pris le temps d’intégrer leur retraite, parce qu’ils se sont directement mis dans un nouveau rôle de grand-parent et de gestion des petits-enfants. Il y a cette étape, qui arrive plus aux alentours de 70-75 et là, il y a à nouveau une perte de rôle dans la société. » (Entretien 28.11.23)

Est-ce que vieillir dans nos sociétés européennes signifie perdre son rôle social et familial ? Quel rôle peut-on proposer aux seniors, qui éprouve le besoin de donner un sens à leur existence à travers le lien avec d’autres personnes ?

Le bénévolat : un autre rôle social

S’investir dans le bénévolat est un moyen pour les retraités de pratiquer une activité, qui leur permet de maintenir des liens sociaux. Ils sont très présents dans les associations, comme l’explique ce professionnel :

« Dans nos bénévoles, on a 70 bénévoles qui répondent au téléphone avec une moyenne d’âge au-delà de 55 ans. Ça veut dire qu’on a même une personne qui a 93 ans et qui vient faire du bénévolat. Elle est en bonne santé et ce n’est pas une exception. Les personnes restent longtemps actives. » (Entretien 21.11.23)

Le bénévolat a un effet positif, mais il touche souvent une catégorie de la population déjà bien insérée, qui est celle des seniors issus de milieux privilégiés.

La transmission de l’histoire familiale : un autre rôle familial

Pour les plus jeunes, les seniors jouent un rôle important dans la transmission de valeurs, de modèles familiaux et de témoignages. Ils sont les gardiens du passé et la mémoire de la famille. A travers le récit de leurs souvenirs, ils donnent corps à une histoire familiale, qui soude les membres de la famille autour de divers rituels et d’anecdotes.

« Oui, absolument. On a immense rôle de témoignage à donner, c’est clair. » (Senior, entretien 21.11.23)

Les seniors jouent aussi un rôle important dans la transmission de savoirs, de compétences, comme l’explique le professionnel ci-dessous :

« Du moment où la personne a des compétences à donner, ça n’a rien à voir avec le niveau ni culturel ni le milieu. On peut trouver des personnes qui viennent de milieu très simple et qui sont des personnes qui ont beaucoup de liens sociaux et des personnes, qui sont de milieux culturels très élevés et qui sont très seules. » (Entretien 21.11.23)

En effet, les savoirs et compétences transmis peuvent être de simples pratiques pas forcément élaborées.

La transmission des savoirs : un rôle social à inventer

Lors des entretiens réalisés, des seniors présents ont revendiqué cette place ne voulant pas être relégués dans une retraite passive, mais désirant pouvoir utiliser leurs savoirs, tout en continuant à en intégrer de nouveaux.

« Il n’y a rien qui est prévu en termes de formation, de formation sociale, pour les personnes âgées qui sont de plus en plus nombreuses. On ne peut pas, comme on l’a fait pendant les 30 Glorieuses, on ne peut pas penser que les vieux distribuent du pain aux pigeons. C’est-à-dire qu’il y a là une force d’expérience, des capacités de bien faire ou de mal faire, mais des capacités qui devraient être, en tout cas, utilisées. Le système a bien su mettre en place des écoles qui préparent des gens pour aller travailler et participer au développement économique, mais dès l’instant où tu tombes à la retraite, il y a quelques presque simulacres de formation ou d’information et après tu es laissé complètement à toi-même. » (Entretien, 30 novembre 2023)

Continuer d’être inséré dans la société et se développer personnellement à travers l’échange et des activités valorisantes est une demande de nombreux seniors qui ne veulent pas être tenus à l’écart dans une attitude de consommateurs de loisirs, mais souhaitent participer activement à la vie sociale. L’idée d’un développement continu tout au long de la vie est de plus en plus présente dans les discours des citoyens quel que soit leur âge. Elle supplante petit à petit une conception plus traditionnelle d’une vie découpée en tranches avec le temps de la formation, puis de la mise en pratique de sa formation pour terminer par une période de repos.

Marie-Eve Zufferey, Myriam Girardin et Olga Ganjour
Observatoire des Familles
Université de Genève
Institut de recherches sociologiques

Bibliographie
Lalive d’Épinay, C. (1992). Le point de vue du sociologue. La solitude : un défi à l’analyse
sociologique. Dans Groupe SOL, La solitude, ça s’apprend ! Genève, Suisse : Georg
Éditeur.

Quinodoz, J.-M. La solitude apprivoisée. 1, vol. 235 p. PUF, Paris, 1991.”

[1] https://www.unige.ch/sciences-societe/socio/fr/recherche/observatoire-des-familles/

[1] SHARE : Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe ( https://share-eric.eu/)

 

Les Assises des Familles, le 4 juin
De quelle manière ce désir pourrait être mis en œuvre à Genève, quel rôle pour les seniors sont des questions parmi d’autres qui seront discutées lors des Assises des Familles, le 4 juin prochain. La recherche de l’Observatoire des Familles sera présentée au CAD (Centre d’animation pour retraités, 22 route de-La-Chapelle, Lancy), ainsi que deux autres conférences dans la matinée de Catherine Ludwig (HES-SO, Genève) et Catherine Busnel (IMAD) d’une part et de Anne-Claude Juillerat van den Linden (Association VIVA), d’autre part. Des ateliers de discussion permettront pendant l’après-midi de poursuivre les réflexions.

Le programme complet de la journée des Assises, ainsi que les conditions d’inscription à l’événement se trouvent sur le site d’Avenir Familles : https://www.avenirfamilles.ch/assises.

Pour plus d’informations, vous pouvez également écrire à l’adresse : marie-eve.zufferey@unige.ch

Flyer_Assises2024



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