L’allaitement, moment “sacré” sans écran

Lettre du mercredi 21 septembre 2022 - Source: Echo Magazine n° 28-2022
Cette semaine nous reproduisons un article de Cédric Reichenbach paru dans Echo Magazine N°28 du 14 juillet 2022 “L’allaitement, moment sacré sans écran”. Il nous permet de constater que les smartphones perturbent même les moments importants passées entre la maman et le nouveau-né.
Le Smartphone parasite les moments importants passés avec le nouveau-né. Connue depuis vingt ans pour son combat contre les dérives du Web – en particulier dans le domaine de la pédocriminalité –, la Fondation suisse Action Innocence et dix-sept experts tirent la sonnette d’alarme.
Maman s’installe, son enfant dans les bras. La tétée commen- ce. Le regard du nouveau-né se fixe sur celui de sa mère. Le lien s’établit, «de sensorialité à sensorialité», disent les spécialistes. Cet «accorda- ge», cet échange, crée une boucle, un cercle vertueux dans lequel s’ancre et se développe l’attachement du bébé pour sa maman. Jusqu’à ce que la vibration d’un téléphone portable détourne l’attention de cette dernière…
«Si on n’est pas là avec le bébé, commente la psychothérapeute Ayala Borghini, il peut s’endormir très vite sans avoir pris suffisamment à manger et redemander à être nourri beaucoup plus rapidement. On risque alors de se retrouver avec un nourrisson jamais satisfait, au rythme peu régulier, ce qui est un facteur d’épuisement pour l’enfant et les parents.»
Professeure à la Haute Ecole spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) de Genève, filière psychomotricité, Ayala Borghini appartient à un groupe d’une vingtaine d’experts qui se réunit depuis trois ans autour d’une question devenue incontournable chez les professionnels de la petite enfance: l’impact des écrans chez les tout-petits (0-3 ans).
A l’origine de ce groupe de travail et du petit film dont est tirée la scène décrite au début de cet article: la fondation Action Innocence. Engagée depuis plus de vingt ans contre les dérives pédophiles sur Internet (encadré page 6), cette organisation romande s’attaque désormais aux conséquences de l’exposition précoce des enfants aux écrans.
Cette évolution, loin d’être anodine, reflète des inquiétudes grandissantes sur le terrain. «Pédiatres, pédopsychiatres, psychomotriciens et éducateurs de la petite enfance constatent dans leur pratique quotidienne des comportements inquiétants chez les jeunes enfants: retards de langage, difficulté à entrer en contact avec les autres enfants, déficit d’attention, maladresse dans la motricité fine, manque d’intérêt pour les jeux habituels», écrit sur le site de l’association la fondatrice et présidente d’Action Innocence Valérie Wertheimer.
Il arrête de téter
Confrontée depuis quelques années aux questions entourant l’usage et l’impact des écrans, Sabine Cerutti-Chabert, sage-femme formée en psychiatrie cli- nique et santé mentale, cofondatrice de la Fondation pour la recherche en périnatalité (FReP) à Genève, a décidé de rejoindre le groupe de travail d’Action Innocence.
«A force de les écouter et de les voir avec leurs bébés, j’ai constaté que nombre de mamans observaient certains changements sans pouvoir les identifier. Ensemble nous avons par exemple découvert que plusieurs mères n’avaient pas pris conscience, pendant qu’elles répondaient à un SMS, que leur enfant avait cessé de téter.»
Tout en se gardant de les culpabiliser, la praticienne, habituée à visiter ses patientes à domicile pour le suivi pré- et post-natal, les aide à mettre des mots sur certains phénomènes: si le téléphone portable peut rendre service et permettre de se sentir moins isolée, il a aussi une fâcheuse tendance à court- circuiter ou parasiter la relation avec le nouveau-né.
Mères trop sollicitées
«L’allaitement est un moment central qui demande beaucoup d’attention, in- siste Sabine Cerutti-Chabert. Les sons, les signes lumineux et les images du Smartphone détournent l’attention de la maman et du bébé qui deviennent moins présents, moins actifs. On perd indubitablement quelque chose. J’es- saie donc de transmettre l’idée sui- vante: il existe des moments, sacrés, comme l’allaitement, le change et le jeu, qui devraient se faire sans portable ou en le mettant sur mode avion.» Eteindre le téléphone, note la sage-femme, a un effet libérateur pour certaines mères trop sollicitées par les visites et les demandes d’envoi de photographies. Et le mérite de limiter les messages contradictoires: «Les levées d’oxytocine chez la maman et le bébé amènent une sensation de bien-être et de calme que les stimuli engendrés par les notifications du Natel parasitent un peu trop souvent».
Pour se construire, les bébés ont besoin d’attention, d’unité et de cohérence. Bref, de faire une seule chose à la fois.
«L’arrivée d’un enfant a le mérite de nous rappeler que nous aussi en avons besoin. On ne peut pas tout faire à la fois.» Sabine Cerutti-Chabert consta- te des améliorations lorsque les comportements évoluent: «Les écrans ne sont certes pas la seule cause des difficultés rencontrées lors des tétées. Mais il arrive très souvent que des nourrissons qui avaient de la peine à téter y par- viennent plus efficacement lorsque, durant le temps de l’allaitement, les mères se protègent du Smartphone et portent leur attention sur eux».
Egalement membre du groupe d’experts, Sandra Veuthey Merino visite régulièrement des crèches dans le cadre de son travail pour le service de santé de l’enfance et de la jeunesse genevois. «Il vous est sûrement déjà arrivé de vous demander, en voyant une personne parler à voix haute seule dans la rue, si elle n’agissait pas de manière un peu étrange… avant de découvrir qu’elle commu- niquait en réalité par téléphone via des oreillettes», commence la psychomo-tricienne en s’installant au Coffee Lab, à deux pas des bureaux de l’Echo Maga- zine. Oui, et alors? «Imaginez maintenant un nourrisson confronté à la même situation dans un couffin poussé par son papa. Contrairement aux adultes, le bébé ne possède pas la capacité de com- prendre que l’homme qui le regarde et émet des sons ne s’adresse pas à lui. La gestuelle, les haussements de ton du papa… tout cela n’est pas destiné à l’enfant. C’est pourtant ce qu’il voit, entend, ressent.» Et subit.
Bouger est vital
Cette situation, si elle se répète, peut déstabiliser le nouveau-né. «Les prémices de l’interaction passent par la motricité et les échanges sensoriels (voix, tonus, regard, odeurs…), rappelle Sandra Veuthey Merino. Si celles-ci sont mises à mal, elles peuvent compliquer l’intégration sociale et le passage au langage qui intervient entre un et deux ans.»
Dans les crèches, où les enfants apprennent à gérer l’espace et les distances, la psychomotricienne observe des problèmes d’équilibre, de chocs contre les murs et des troubles de l’attention. Dus aux écrans? «L’origine est toujours multifactorielle, mais il est certain que la surexposition aux écrans contribue à limiter les mouvements, pourtant essentiels au développement», répond Sandra Veuthey Merino.
Livre de la semaine

L’allaitement instinctif

Manuel très illustré d’allaitement

Mes seins, mon choix !

Toi, moi et la tétée