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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Le statut de la résidence alternée dans l’élaboration d’une coparentalité démocratique en France


Lettre du mercredi 15 mai 2019 - Source: Avenir Familles



Résumé du chapitre de Gérard Neyrand(1)
Le professeur Gérard Neyrand de l’Université de Toulouse donnera une conférence tout public, le 5 juin prochain, à l’Université de Genève, à 18h30, sur le thème de la garde alternée après séparation. Sociologue reconnu en France pour ses recherches sur les effets des mutations sociales sur la sphère privée et sur les familles, tant au niveau du couple et des rapports de genre, de la parentalité et de la petite enfance, il a également publié plusieurs ouvrages dans la maison d’édition Erès(2).

Lors sa présentation à Unimail, il se penchera davantage sur la garde partagée en Suisse, qui est désormais reconnue et prend progressivement plus d’importance dans les pratiques. Malgré cela, elle est loin de faire l’unanimité et continue à susciter des débats animés. L’intervention replacera cette pratique alternative à la garde chez un seul parent (généralement la mère) au sein des évolutions sociales pour montrer à quel point la situation de l’enfant constitue le révélateur d’un bouleversement des moeurs qui interroge les conceptions de la famille, du couple et de la parentalité, en bousculant les certitudes antérieures. Spécialiste des modes de garde et de la coparentalité, il a publié récemment un chapitre sur la résidence alternée en France, dont nous vous proposons le résumé ci-après.


La pratique de la résidence alternée après séparation a été perçue négativement en France jusque dans les années 1990, car dénoncée par les spécialistes des disciplines psychologiques comme déstabilisante pour l’enfant. La présence constante de la mère auprès de son enfant était acceptée comme ce qu’il y avait de mieux pour l’enfant, particulièrement s’il était petit.

Dès le début des années 1970, dans le prolongement des idées de 1968, de nouvelles pratiques se développent dans la sphère privée qui mettent en avant l’égalité entre les sexes, qui voient les femmes investir le domaine professionnel et les hommes revendiquer le droit de vivre autrement leur paternité, c’est-à-dire dans une attitude de plus grande proximité et d’investissement quotidien auprès de leur enfant. Avec la loi votée en 1970, la « puissance paternelle » est remplacée par une autorité parentale exercée conjointement par le père et la mère dans la famille conjugale (non séparée). L’éclatement du nombre de divorces et de séparations depuis les années 1970 amène ces familles à choisir la garde alternée, qui s’inscrit dans le prolongement de leur façon de vivre lorsqu’elles étaient unies.

C’est dans ce contexte qu’en France sont déjà votées en 1987 et 1993(3), les lois inscrivant l’autorité parentale conjointe comme nouvelle norme après la séparation des époux quelle que soit la résidence de l’enfant, puis la généralisant aux couples en union libre.
Désormais, le principe de coparentalité, en l’occurrence le maintien du lien de l’enfant à ses deux parents après séparation conjugale, est intégré comme partie prenante de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les situations.

Cette nouvelle façon de nommer l’éducation partagée des enfants par deux parents remet non seulement en cause la répartition antérieure genrée des rôles familiaux, mais souligne la conception démocratique de la famille en mettant l’accent sur l’égalité des personnes et l’autonomie des individus. A partir de 1987, les associations de pères demandent que la coparentalité ne signifie pas uniquement la participation des pères aux décisions importantes concernant la vie de l’enfant, mais qu’elle devienne effective avec la pratique de l’alternance du domicile après séparation.

Le 4 mars 2002 est votée en France une nouvelle loi sur l’autorité parentale, qui reconnaît la légitimité de la pratique de la résidence alternée et qui place son évocation avant la résidence unique: « La résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un deux » (art. 373-2-9). L’article précise par ailleurs : « A la demande de l’un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l’enfant, le juge peut ordonner à titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée. Au terme de celle-ci, le juge statue définitivement sur la résidence de l’enfant en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux. » La pratique est alors d’inciter les parents à formaliser une convention définissant l’après-séparation, que les juges n’auront plus qu’à entériner après avoir vérifié sa possibilité de réalisation matérielle. Un consensus tend à se former selon lequel, l’alternance appliquée dans de bonnes conditions est favorable à l’intérêt de l’enfant.

Quelques oppositions à ce constat se manifestent du côté des psychologues et pédopsychiatres, qui voient dans l’âge précoce de l’enfant un obstacle à la pratique de l’alternance des domiciles. Ce mouvement a abouti à l’élaboration d’un ouvrage intitulé « Le livre noir de la garde alternée », qui oppose l’égoïsme des parents toujours à la notion de l’intérêt de l’enfant. Pour les tenants de la garde alternée, au contraire, l’intérêt de l’enfant ne peut pas être dissocié de celui des parents. A l’heure actuelle, s’il n’y a pas d’accord sur les observations, c’est parce qu’à travers la multitude des situations, il y a toujours des enfants qui se trouvent bien dans un cas et d’autres pas et parce que ce sont ces derniers qui finalement se retrouvent dans les cabinets des thérapeutes.

La seule conclusion partagée par les enquêtes est que la résidence alternée ne peut être une règle absolue, tant sa pratique présuppose un ensemble de conditions, souvent difficiles à assembler(4). La première condition est qu’elle soit souhaitée par les deux parents ; ensuite que certaines conditions matérielles soient remplies (pas trop d’éloignement des domiciles ; domiciles pas trop exigus). L’obstacle le plus rédhibitoire est relationnel : Les situations de séparation hautement conflictuelles ne sont pas à priori favorables à la mise en place de la garde alternée, qui demande un minimum d’entente entre les deux parents. Pour qu’une alternance ne mette pas l’enfant en difficulté, il faut qu’il ne soit pas surinvesti du conflit conjugal et qu’à chaque changement de résidence, il ne soit pas porteur des reproches adressés à l’autre parent, ce qui le mettrait dans une situation de conflit de loyauté insupportable.

Dans certaines situations, il semble que la pratique temporaire de l’alternance des domiciles a contribué à aplanir le conflit, selon la capacité des parents à évoluer et leur volonté à faire évoluer les choses en fonction du bien de l’enfant. Un travail psychique doit être réalisé pour que l’autre parent soit envisagé uniquement comme l’autre parent, dont le maintien du lien à son enfant constitue un enjeu pour l’équilibre et le bien-être de celui-ci. Beaucoup de parents ont besoin d’une intervention extérieure pour réaliser ce travail et font appel aux services des médiateurs familiaux.

La grande difficulté des études à déterminer le bien ou mal-fondé de la résidence alternée tient au fait que l’on ne peut pas isoler la variable résidence alternée du reste de la situation prise en compte. Un autre obstacle est l’impossibilité à définir de manière objective la notion de l’intérêt de l’enfant. Il est important de replacer le débat dans un contexte général de mutations sociales concernant la famille et les relations privées pour rappeler que la garde partagée est un instrument, parmi d’autres, de lutte pour l’égalisation de la place des hommes et des femmes dans la société contemporaine, qui se veut démocratique.

En conclusion, si l’on admet que le principe de coparentalité participe du bien-être de l’enfant et de son intérêt, alors les pratiques qui permettent d’exercer cette coparentalité, comme la résidence alternée, ou la diversification des possibilités de contact de l’enfant avec le parent chez qui il ne vit pas, est un point de vue à défendre, d’autant plus que dans la majorité des cas, l’intérêt de l’enfant et celui des parents ne sont pas à dissocier. Il est que, pour les parents, arriver à cette position partagée, nécessite parfois tout un travail préalable d’élaboration.

(1)Neyrand, G., Poussin, G., Wilpert, M.-D. (2015). Père, mère après séparation : Résidence alternée et coparentalité. Eres.
(2)Neyrand, G. (2019). La mère n’est pas tout ! Reconfiguration des rôles et perspectives de cosocialisation. Erès.
Neyrand, G. (2018). L’amour individualiste. Comment le couple peut-il survivre ? Erès.
Neyrand, G., Coum, D., Wilpert, M.-D. (2018) Malaise dans le soutien à la parentalité. Pour une éthique d’intervention. Erès.
(3)Pour information, l’autorité parentale conjointe est la règle en Suisse depuis 2014.
(4)Voir l’enquête suisse réalisée par Michelle Cottier, Eric Widmer, Sandrine Tornare et Myriam Girardin M. (2018). La garde alternée. Une étude interdisciplinaire sur ses conditions-cadre. FamPra.ch, 2, 297-332.

Flyer de la conférence

Marie-Eve Zufferey, Observatoire des familles


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