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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Les enfants naissent tous créatifs


Lettre du jeudi 9 juin 2016 - Source: Echo Magazine



On ne naît pas conformiste, on le devient. L’enfant perd souvent son potentiel créatif en grandissant. Mais les parents peuvent cultiver sa créativité et déployer leur propre imagination. Qu’est-ce qui pousse à créer? Pour le chorégraphe Angelin Preljocaj, c’est une photographie de Rudolf Noureïev suspendu en plein saut qui le subjugue à l’âge de 11 ans et déclenche en lui l’envie de prendre des cours de danse classique. «L’émotion créatrice est cette fulgurance de l’esprit qui embrase l’imaginaire d’un enfant et le conduit sur le chemin de la création», affirme Hubert Ripoll, professeur et psychologue, qui a enquêté sur le secret des grands créateurs. Il observe que cette étincelle originelle répond, dans la plupart des cas, à une quête. Si le spécialiste s’est intéressé à des personnalités qui sont, dit-il, «le miroir grossissant de ce que nous sommes», nos enfants ne sont pas tous appelés à devenir des créateurs célèbres. Mais tous ont un potentiel créatif «La créativité permet de s’accomplir, de se ressourcer et de prendre du plaisir dans une production personnelle et originale», précise le psychologue.

«Laissez-moi rêver!» Aujourd’hui, la créativité est une valeur en hausse, revendiquée à tous les étages. Depuis la parution, il y a vingt ans, du livre d’Etty Buzyn Papa, maman, laissez-moi le temps de rêver!, devenu un best-seller, presque tous les manuels d’éducation lui consacrent des chapitres entiers. Les ateliers et loisirs «créatifs» se multiplient pour petits et grands; les jeux estampillés créatifs (mais le sont-ils vraiment quand des règles sont imposées?) figurent en tête de gondole. Même les entreprises stimulent l’imagination de leurs employés, de séances de brainstorming en séminaires propices à faire jaillir les idées. Car si la créativité promet l’épanouissement personnel (et vice versa), elle peut aussi être envisagée comme un moyen d’améliorer l’adaptation de l’individu en vue d’augmenter ses performances.

Quant à l’école, censée être un lieu privilégié d’éveil, elle est montrée du doigt par nombre de pédagogues qui l’accusent de faire baisser, voire de brider le potentiel créatif des élèves et ce dès la fin de la maternelle. Y compris dans les pays anglo-saxons! Sur YouTube, la conférence de Ken Robinson intitulée «Le système éducatif tue la créativité», a été vue des millions de fois. Cet universitaire anglais dénonce avec humour les ravages d’une pédagogie standardisée et plaide pour une école qui favorise la créativité. Ne pas la tuer, c’est déjà la préserver: c’est aussi la conviction de François Taddei qui a créé, au sein du Centre de recherches interdisciplinaires «Les Savanturiers», un programme éducatif pour former les élèves à la créativité du questionnement, à la rigueur de la recherche et à la coopération.

Le droit à l’erreur
Ce chercheur français est aussi l’un des parrains d’une école dite « démocratique », l’Ecole dynamique, fondée à Paris en septembre 2015 et inspirée d’un modèle américain. «Les apprentissages y sont personnalisés. Chaque élève est libre de créer son propre chemin et avance à son rythme», précise Marie Gervais, cofondatrice. Selon François Taddei, deux conditions permettent d’entretenir son potentiel créatif: se donner le droit à l’erreur («comment créer si on a peur de l’échec?») et bénéficier du regard des autres.

Hubert Ripoll insiste sur l’importance de l’accompagnement familial dans la démarche créatrice. Attention cependant à ne pas faire porter le poids d’un surinvestissement parental quand on souhaite, par exemple, voir son fils ou sa fille réaliser ce que l’on n’a pas accompli soi-même. Le psychologue souligne à ce titre le rôle essentiel des grands-parents, débarrassés des contraintes liées à la réussite de l’enfant. Ouverts, tolérants, bienveillants, ils sont phis dans la recherche de l’épanouissement que celle, parfois effrénée, de l’acquisition de compétences.

Les parents, en effet, sont souvent tiraillés entre deux exigences contradictoires: «Sois créatif, accomplis-toi, sois toi-même… et entre dans le moule!», pointe le psychologue. Par peur de l’avenir, ils privilégient l’adaptation et le conformisme et gomment la part de l’imaginaire. Gardienne vigilante de la créativité naturelle de l’enfant, Etty Buzyn, psychologue clinicienne et psychothérapeute, ne cesse d’alerter: «L’enfant a de moins en moins de temps pour jouer, créer, être présent à son imaginaire. C’est le rôle des parents de respecter, d’encourager, et de valoriser cet univers».

Le poison des écrans
Depuis la sortie de son livre, en 1995, la multiplication des écrans a aggravé la situation. «Le jeu libre est devenu le parent pauvre de l’éducation, déplore-t-elle. L’adulte doit s’efforcer de préserver cet espace de liberté, de répondre aux attentes de l’enfant qui veut bricoler, jardiner, construire, aménager, détourner un objet de son usage.» En évitant de faire à sa place, de guider sa main ou de l’obliger à finir sa création, qui n’appartient qu’à lui.

Etre créatif ne se décrète pas, c’est un style de vie, une tournure d’esprit. «En famille, cela consiste à laisser du jeu entre soi et le monde, à s’autoriser la fantaisie», estime la psychanalyste France Schott-Billmann. Pour cette danse-thérapeute, la créativité transfigure la vie. Pour la susciter, il faut arriver à se détendre, à s’émerveiller, à partager les capacités créatives de son enfant. Ne pas lui dire «non, cette chaise n’est pas une locomotive», mais plutôt entrer dans son jeu en se glissant à nouveau dans la peau du petit être que l’on a été.

France Lebreton/La Croix


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