“Parents hélicoptères”: Pourquoi nous devrions faire plus confiance à nos enfants

Lettre du mercredi 27 août 2025 - Source: RTS
Cette semaine nous reproduisons un article de Matthias von Wartburg publié le 09.06.2024 à la RTS “”Parents hélicoptères”: Pourquoi nous devrions faire plus confiance à nos enfants”.
Un nombre croissant de parents adoptent une posture surprotectrice envers leurs enfants, souvent en raison de l’anxiété ou d’expériences personnelles éprouvantes. Cependant, cette protection excessive peut entraver l’épanouissement de l’autonomie, l’assurance personnelle et la faculté à surmonter les défis. Les experts suggèrent d’écouter les enfants et de leur conférer petit à petit davantage de responsabilités pour favoriser leur développement. Il est crucial d’adopter une approche équilibrée pour prévenir les conséquences négatives tout en garantissant leur sécurité.
De nombreux parents veulent protéger leur progéniture de tous les dangers possibles. Mais des spécialistes mettent en garde: une surprotection des enfants pourrait entraver leur développement.
“Attention aux voitures”, lance Andrina à ses garçons. L’aîné, 7 ans, est déjà loin avec sa trottinette, tandis que le cadet, 5 ans, tente de rattraper son frère à vélo. “C’est fatigant, surtout parce qu’ils n’avancent pas au même rythme”, confie la maman de 36 ans.
En ce mardi, il y a peu d’activités dans les rues secondaires de Rapperswil-Jona. Mais la peur pour ses enfants ne quitte jamais Andrina. “Ici, les voitures roulent parfois plus vite qu’elles ne devraient.”
Petite pause au parc. Le garçon de cinq ans grimpe sur une tour. “Doucement!”, lui crie Andrina depuis le banc. Ils sont déjà venus plusieurs fois sur ce terrain de jeu, mais elle ne peut s’empêcher d’avoir un petit pincement au ventre. Elle a parfois de la peine à lâcher prise. “Par exemple, quand l’aîné est invité à une fête d’anniversaire dans un grand centre de jeux qu’il ne connaît pas.”
La surprotection est un sujet de discussion récurrent entre elle et son mari. “Cela se voit quand on est avec d’autres familles. Pendant que les autres parents discutent tranquillement entre adultes, nous, on garde toujours un œil sur les enfants, on les appelle.”
Quand parle-t-on de surprotection?
“Dans toute cette discussion autour de la surprotection, il faut d’abord rappeler que la mission de base des parents, c’est de protéger leurs enfants”, déclare Claudia Roebers, directrice du département de psychologie du développement de l’Université de Berne.
Mais à partir de quand est-ce trop? C’est une question d’équilibre et cela varie beaucoup d’une famille à l’autre, précise Claudia Roebers. Cela dépend fortement du tempérament et du niveau d’anxiété de l’enfant – et des parents. En principe, on peut dire que si l’on freine le désir d’autonomie de l’enfant, ça devient problématique. “Si les parents répètent sans cesse: “Non, tu ne peux pas encore faire ça. Non, c’est trop dangereux”, alors on tombe dans la surprotection.”
Il y a quelques années, la Haute école pédagogique de Zurich a mené une enquête qualitative (lien en pdf, en allemand) auprès d’enseignantes et d’enseignants. Selon leurs réponses, 22% des parents présentent une tendance à la surprotection. Comparé aux générations précédentes, ce phénomène est nettement plus courant aujourd’hui, affirme la psychothérapeute pour enfants et adolescents Joëlle Gut.
Plusieurs explications
Les raisons de cette attitude sont nombreuses, explique Joëlle Gut, qui rencontre régulièrement des parents surprotecteurs en consultation. Une des causes peut être un besoin de contrôle trop fort: “Si les parents observent presque chaque pas de leur enfant et veulent écarter tous les dangers possibles, ça devient rapidement excessif.”
“Certains parents voient leur enfant comme un projet qu’il faut réaliser de manière parfaite”
Joëlle Gut, psychothérapeute pour enfants et adolescents
Joëlle Gut observe également une suridentification au rôle parental: “Certains parents voient leur enfant comme un projet qu’il faut réaliser de manière parfaite.” Par conséquent, ils se font alors trop de soucis et abordent la parentalité de manière trop peu intuitive.
Enfin, il n’est pas rare qu’un trouble anxieux chez les parents soit aussi à l’origine de la surprotection. “Quand la perception, les pensées, les émotions et les comportements sont dominés par l’angoisse, la surprotection semble justifiée”, explique Joëlle Gut.
“J’avais peur de ne jamais devenir maman”
C’est le cas pour Andrina. Elle raconte avoir dû lutter contre un trouble anxieux. À 22 ans, elle a perdu ses grands-parents, qu’elle avait accompagnés jusqu’à la fin. “La même année, j’ai été agressée dans un train. C’était le 27 décembre, j’étais seule dans le wagon.” Après ça, elle a fait des crises de panique.
Grâce à une thérapie, elle a pu les surmonter. Mais la peur est restée. Quelques années plus tard, lorsqu’elle a commencé à envisager de fonder une famille, l’anxiété a resurgi. Andrina n’arrivait pas à tomber enceinte et a fait plusieurs fausses couches. “J’avais peur de ne jamais devenir maman.”
Lorsque Andrina a finalement eu son premier enfant, son fils a dû être transféré en néonatologie peu après la naissance en raison de difficultés respiratoires. “C’était dur! Tu veux que ton enfant aille bien, et soudain il manque d’oxygène.” La cause exacte n’a jamais été identifiée. L’inquiétude d’Andrina s’est intensifiée. “C’est sans doute à ce moment-là que la surprotection a commencé.”
Les papas aussi concernés
Andrina et ses garçons rentrent à la maison. Les enfants sortent jouer avec les copains du quartier. Andrina s’assied à la table de la cuisine avec son mari Gino, 38 ans. Les deux sont en couple depuis 20 ans.
La surprotection est souvent associée aux mères, mais Gino reconnaît lui aussi avoir tendance à trop couver ses fils. Pour lui, en plus des soucis de santé de son aîné à la naissance, cela a aussi un lien avec sa propre enfance. “Quand il neigeait, ma mère ne voulait pas que j’aille à l’entraînement de foot, de peur qu’il m’arrive quelque chose en chemin.”
“Les enfants surprotégés se sentiront rapidement dépassés, car ils n’ont pas acquis cette confiance qu’ils peuvent gérer les choses par eux-mêmes”
Claudia Roebers, directrice du département de psychologie du développement de l’Université de Berne
Dans le petit village d’Italie où Gino est né, il n’y avait pas d’école. Les enfants devaient prendre le bus scolaire pour aller dans une autre localité. “Ma famille qui vit en Italie ne comprend pas que nous laissons nos enfants aller à l’école à pied, seuls, même lorsqu’il pleut ou neige.”
Les conséquences de la surprotection
“Une surprotection effective conduit chez l’enfant à une moins bonne auto-efficacité (la confiance en ses propres capacités à accomplir des tâches spécifiques, ndlr), une moins bonne estime de soi (l’évaluation générale de sa propre personne, ndlr), de moins bonnes compétences de résolution des problèmes”, résume Claudia Roebers.
Tôt ou tard, les enfants sont inévitablement confrontés à des situations difficiles, sans la présence de leurs parents. “Les enfants surprotégés se sentiront rapidement dépassés, car ils n’ont pas acquis cette confiance qu’ils peuvent gérer les choses par eux-mêmes.” Des enfants surprotégés peuvent ainsi devenir des jeunes adultes peu sûrs d’eux.
“La principale raison pour laquelle les jeunes abandonnent leurs études à l’Université de Berne – ou ailleurs dans le monde – est l’angoisse liée aux examens”, relève Claudia Roebers. Cela pourrait être une conséquence de la surprotection. “Si je n’ai pas appris, en tant qu’enfant, à relever des défis et à essayer, cela devient compliqué plus tard.”
“Les enfants savent très bien où en sont leurs capacités. Encore faut-il leur laisser cette possibilité”
Claudia Roebers, directrice du département de psychologie du développement de l’Université de Berne
Andrina et Gino constatent les effets sur leurs garçons. “Ils sont parfois très peu autonomes. Nous faisons beaucoup de choses à leur place au lieu de les encourager à le faire eux-mêmes”, reconnaît Andrina. Elle pense aussi que leurs fils manquent de confiance en eux par rapport à d’autres enfants de leur âge. “Nous réalisons de plus en plus que notre surprotection les empêche de prendre de l’assurance.”
Ecouter les enfants
Claudia Roebers plaide pour une meilleure écoute des enfants. Lorsqu’il s’agit de déterminer les tâches que l’on peut déjà confier à son enfant, l’auto-évaluation des enfants est essentielle. “Les enfants savent très bien où en sont leurs capacités. Encore faut-il leur laisser cette possibilité.”
Cela peut signifier, par exemple, demander concrètement à l’enfant quelle partie du chemin vers l’école de musique il veut faire seul. “Avec ce genre de question, je signale à l’enfant que je suis là s’il en a besoin, mais que je lui fais aussi confiance pour le faire tout seul”, explique la psychologue.
On ne rend pas service à ses enfants en les privant d’autonomie ou en doutant systématiquement d’eux. Cependant, stigmatiser les parents pour cela, les étiqueter comme des parents hélicoptères n’est pas non plus constructif. Car, comme pour Andrina et Gino, il y a souvent une histoire personnelle derrière la surprotection.
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“La montée en puissance du parent hélicoptère” – planète santé – Malka Gouzer – 31.10.2018
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