Soutenir les parents pour mieux aider de jeunes autistes

Lettre du jeudi 20 février 2025 - Source: Tribune de Genève
Cette semaine nous reproduisons un article de Léa Frischknecht publié le 28.10.24 dans la Tribune de Genève “Soutenir les parents pour mieux aider de jeunes autistes”.
“Deux structures de l’association l’Astural interviennent directement au sein des familles. Objectif: les épauler dans l’accompagnement de leurs enfants.
Il est presque 16 h, quand Eren passe la porte de l’appartement familial. Comme tous les jeudis, cet adolescent rentre de l’école tout seul. Un accomplissement découlant de mois de travail. Car si Eren ressemble à n’importe quel jeune de 14 ans, il est atteint d’un trouble du spectre autistique (TSA) atypique. Lui et Bruna, sa maman, bénéficient, depuis un an, du soutien de Sophie Braems, intervenante à l’ASPAD (accompagnement et soutien parental à domicile).
Cette structure est l’une des dernières-nées de la Fondation Astural, qui soutient les jeunes rencontrant des difficultés dans leur développement. Depuis 2022, l’ASPAD propose un accompagnement à domicile aux familles dont l’un des enfants souffre d’un trouble autistique, avec ou sans déficience intellectuelle (DI). «Pour bénéficier de nos prestations, l’enfant doit disposer d’une procédure d’évaluation standardisée (PES), soit une mesure pour être scolarisé en enseignement spécialisé», détaille Vanessa de Rudder, directrice de l’ASPAD.
Alléger le stress parental
En deux ans, ce dispositif mandaté par l’Office médico-pédagogique (OMP) a déjà accompagné plus de septante ménages et de nombreux autres sont actuellement en attente.
Les familles qui désirent avoir recours à ce soutien à domicile se voient attribuer un éducateur ou une éducatrice qui les suivra durant six mois (période renouvelable après une évaluation), généralement à un rythme d’une fois par semaine.
«Notre objectif est de comprendre les besoins de soutien exprimés par les parents et de leur apporter des pistes d’amélioration pour faciliter leur quotidien, explique encore Vanessa de Rudder. Il peut s’agir de soutien émotionnel, d’orientation au sein du vaste réseau genevois, d’aide administrative ou de mise en place d’outils pédagogiques spécifiques en lien avec le trouble de l’enfant. Le tout pour alléger autant que possible le stress parental.»
Gestion de l’agressivité
En 2023, alors qu’Eren entre dans l’adolescence, sa maman songe à le placer en foyer. «La situation n’était plus gérable, se souvient Bruna. Il était agressif et il avait beaucoup grandi. Je ne pouvais plus le contenir aussi facilement qu’avant. C’est une assistante sociale qui m’a parlé de l’ASPAD. Au départ, je n’étais pas vraiment pour faire venir quelqu’un chez nous, mais je n’avais plus le choix.»
Si elle était initialement réfractaire, Bruna a immédiatement eu un «bon feeling» avec Sophie Braems. Pour gérer l’agressivité d’Eren, l’éducatrice suggère notamment que ce dernier pratique un sport. «Il rêvait de faire du foot mais j’avais contacté plusieurs clubs sans n’avoir jamais reçu de réponse», se souvient la maman.
Grâce à son réseau, Sophie Braems trouve une équipe pour jeunes en situation de handicap. Cet été, Eren a même pu partir, pour la première fois de sa vie, en colonie de vacances. «Pour les parents, ce travail de recherche est horrible, relate Bruna. Personne ne nous dit rien, on ne sait pas ce qui existe et c’est fatigant psychologiquement.»
Le travail de réseau constitue une partie importante de la mission des éducateurs et éducatrices de l’ASPAD. Ces derniers peuvent contacter l’école, les médecins, thérapeutes ou les assistants sociaux pour davantage de cohérence dans la prise en charge et l’utilisation d’outils communs. «Nous sensibilisons les acteurs qui gravitent autour de l’enfant à communiquer entre eux et avec les parents», détaille Sophie Braems.
Ensemble, les deux femmes ont également pu mettre en place des plannings de tâches pour Eren. «Ça l’aide beaucoup mais je suis aussi beaucoup plus organisée», sourit Bruna. Aujourd’hui, la maman ne ressent plus le besoin de placer son fils en foyer: «Eren est un adolescent qui a gagné en confiance et en autonomie, qui arrive à s’exprimer sans violence.»
Mais la prestation de l’ASPAD ne tourne pas qu’autour de l’enfant. «Avec Sophie, j’ai pu vider mon sac et être comprise, confie Bruna. Si on veut qu’un enfant en situation de handicap aille mieux, il faut aussi s’occuper des parents. Je pense que si j’avais été prise en charge dès son entrée en école spécialisée, on aurait évité beaucoup de souffrance.»
Car pour Eren et sa maman, la route fut longue. Si Bruna a très vite remarqué que son enfant était différent, il aura fallu attendre ses 8 ans pour, enfin, recevoir un diagnostic. «Je l’ai vécu comme une libération, relate-t-elle. Et ça m’a aidé à déculpabiliser, à comprendre que je n’étais pas une mauvaise mère.»
«On n’était pas prêt à accepter ça»
Tous les enfants ne sont pas diagnostiqués aussi tardivement. Davis, lui, avait trois ans quand on a annoncé son TSA à ses parents. Qui ont d’abord encaissé difficilement le choc. «J’ai été très stressée par cette nouvelle, raconte Catherine, la maman du petit garçon. Il ne parlait pas, il avait peur de tout, n’avait aucune autonomie et faisait beaucoup de crises. Je me disais forcément qu’en grandissant, ça serait de pire en pire.» David, le papa, complète: «En fait, nous ne connaissions pas l’autisme. On n’était pas prêt à accepter ça. Mais ensuite, j’ai fait des recherches sur internet, j’ai compris que notre fils pourrait évoluer.»
Aujourd’hui, Davis a 5 ans et fait la fierté de ses parents. Grâce à l’intervention de Romain Campart, éducateur de l’ASPAD, le petit garçon a beaucoup progressé et est plus autonome. «Romain nous a aidés à le faire manger seul, explique Catherine. Il nous a aussi proposé d’utiliser des fiches avec des pictogrammes pour mieux communiquer avec notre fils. Il y a eu beaucoup de changements.»
«Nous devons d’abord apprendre à connaître la famille et essayer de comprendre son fonctionnement, explique Sophie Braems. L’avantage d’entrer dans l’intimité des gens, c’est qu’on peut intervenir directement dans l’environnement proche et dans les repères quotidiens de l’enfant.»
«Nous ne sommes pas là pour imposer quoi que ce soit aux parents, nous leur proposons juste des outils adaptés à leur réalité afin qu’ils puissent continuer à les utiliser sans nous, ajoute Romain Campart. J’aime bien dire que nous devons être utiles mais pas indispensables.»
«Le plus beau métier du monde»
L’ASPAD ne prend pas en charge les enfants de moins de quatre ans, c’est une autre structure de l’Astural, le Service éducatif itinérant, avec son dispositif petite enfance (SEI) qui s’en occupe. Créé en 1969 et rattaché à l’association en 1980, le SEI comporte plusieurs pôles qui interviennent notamment dans les écoles ou les structures de la petite enfance mais également à domicile.
Sacha Popovic y travaille depuis trois ans et demi. «J’y fais le plus beau métier du monde», sourit ce diplômé en psychologie clinique. Avec ses 30 collègues, ils interviennent à domicile lorsque l’un des enfants présente un retard de développement avéré ou par prévention, auprès d’enfants à risque, dans les familles fragiles.
Parmi la douzaine de foyers où intervient Sacha Popovic, il y a la famille d’Isak, diagnostiqué TSA à l’âge de 2 ans. Pour ses parents, l’intervention du psychologue a été salutaire. «Son cas est plutôt léger, il a de bonnes compétences cognitives qui cachent son trouble, explique Christian, le papa. C’est au niveau des compétences émotionnelles et relationnelles que c’est plus compliqué. La clé, c’est d’intervenir le plus tôt possible.»
La moyenne d’âge des enfants suivis par le SEI est de 2 ans, relate Éric Métral, directeur de la structure: «C’est là que les retards de développement se voient le plus. L’un de nos plus grands défis réside dans les attentes des parents. Ils en ont légitimement beaucoup car ils espèrent que leur enfant pourra rattraper très vite son retard. Nous avons également un important travail de soutien auprès des familles lorsqu’elles apprennent un diagnostic.»
Avec Isak, Sacha Popovic passe par le jeu pour améliorer son développement. Il soutient également les parents en leur proposant un espace thérapeutique où ils peuvent élaborer leur relation avec leur enfant. À l’image du «jouet de transition», conseillé par le psychologue, pour aider l’enfant à appréhender les changements. «Je crois que, pour Isak, Sacha fait partie de la famille, sourit sa maman, Alicia. Souvent, il l’attend derrière la porte.» En deux ans, Isak a beaucoup progressé, fait moins de crises, s’exprime grâce aux tableaux de pictogrammes utilisés par le psychologue.
Aujourd’hui âgé de 4 ans, Isak est entré à l’école primaire en août. Le suivi de Sacha s’arrêtera donc fin octobre. Ce qui n’inquiète pas tant la famille qui a réussi à s’ajuster aux besoins de son enfant au quotidien. «On a bien bossé, sourit le papa. Et puis, on sait qu’on peut toujours le contacter pour un point ponctuel si besoin.»
Pas de baguette magique
Au SEI, les fins de suivi peuvent parfois être plus difficiles pour les familles. Laure Calpe intervient depuis 2022 pour la petite Cristal, chez Mayara et Richard. Les parents, particulièrement la maman, ont un attachement fort pour la psychologue. «Laure a été d’un grand soutien pour moi car je n’ai pas de famille ici. Elle m’a énormément aidée en me soutenant dans mon rôle de mère, mais aussi par son écoute. À l’époque, j’étais en dépression post-partum.»
À l’âge de deux ans, Cristal a commencé à présenter un retard de développement ainsi que d’importantes difficultés à réguler ses émotions. Les parents de la petite ont alors contacté le SEI, sur recommandation de leur pédiatre. «Nous ne savions pas quoi faire. Nous n’avons que des modèles parentaux toxiques et personne vers qui nous tourner», note le papa, qui évoque également une situation économique précaire.
À travers un soutien à la parentalité et à la relation parents-enfants, une stimulation par le jeu et une diminution de l’exposition aux écrans, la petite Cristal a aujourd’hui rattrapé son retard. «J’ai épaulé les parents afin de leur permettre d’accompagner leur fille dans la gestion de ses émotions. Je les ai soutenus dans leur volonté de poser un cadre qui soit acceptable pour eux. Ils ont fait le reste du travail, se réjouit la psychologue. C’est tellement précieux de travailler avec des personnes aussi impliquées.»
Tous les intervenants du SEI et de l’ASPAD le soulignent : ils n’ont pas de baguette magique. Mais sans faire de miracle, ils ont le mérite d’apporter un peu d’apaisement et de soutien dans des quotidiens souvent marqués par l’épuisement parental, le manque de connaissance et de ressources.
Superviseur à l’ASPAD et anciennement au SEI, Dimitri Gisin, psychothérapeute à La Cabane Thérapie, souligne la pertinence d’une prise en charge globale dans le cas d’enfants présentant des troubles du développement.
Dimitri Gisin, l’ASPAD adopte une approche systémique, qu’est-ce que cela veut dire exactement?
Contrairement à une approche individuelle, l’approche systémique va prendre en considération le système dans son ensemble. L’enfant qui a un trouble s’inscrit dans un système, familial. Il y a quelques dizaines d’années on estimait que les parents, les mères surtout, étaient la cause du trouble et qu’on pouvait ainsi guérir l’enfant en l’enlevant de ce système. Aujourd’hui, on sait qu’on peut apprendre aux enfants à vivre au mieux avec leur trouble, et cela passe en partie par un travail avec la famille.
L’approche est donc novatrice?
Pas vraiment, elle existe depuis longtemps. Toutefois, il y a encore des spécialistes qui s’occupent uniquement des enfants, et ce, alors que, selon les statistiques, lorsqu’un enfant est en situation de handicap, les risques de burn-out parental et de séparation conjugale sont en hausse.
D’autres spécialistes s’occupent uniquement du système familial alors que ces enfants ont éminemment besoin d’un travail spécifique et parfois individuel. Je pense que le SEI a compris depuis longtemps qu’il est primordial de faire les deux, et l’ASPAD s’inspire librement de ce modèle.
Quel est l’intérêt d’intervenir à domicile et pas dans un cabinet?
Travailler au sein du foyer permet de comprendre sa réalité et d’éviter les écueils ou les solutions non adaptées. Par exemple, dans les cas de situations socio-économiques précaires qu’on peut peiner à se représenter sans être sur place. Il s’agit d’apporter du soutien aux parents mais surtout de réfléchir avec eux à ce qu’on peut mettre en place dans leur quotidien. Cela permet aussi d’analyser concrètement les lieux dans lesquels l’enfant évolue. Par exemple, lorsqu’un intervenant propose d’établir un programme pour la douche, il est important de voir la salle de bains pour comprendre où il sera plus optimal de l’afficher.
Les intervenants font également un gros travail de réseau…
Oui et c’est très important. Le système est plus large que le noyau familial. Il inclut également les réseaux pédagogique et de soins. Il est important que toutes ces personnes se parlent pour aider au mieux l’enfant.
De plus, il faut savoir que le réseau est actuellement saturé. Faire les démarches, trouver un spécialiste, savoir vers qui se tourner peut déjà être difficile si l’on est Genevois et qu’on parle couramment le français. Alors imaginez la complexité pour les personnes allophones. Là encore, le SEI et l’ASPAD jouent un rôle précieux.”
Autre article : “Pourquoi le nombre de personnes atteintes d’autisme est en hausse” – TDG du 11.09.23 de Mathilde Schott