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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Familles en difficulté

Comment combattre le syndrome du bébé secoué et briser un tabou


Lettre du mercredi 29 mai 2024 - Source: Tribune de Genève



Cette semaine nous reproduisons un article de Rahel Guggisberg publié le 23.05.2024 dans la Tribune de Genève “Comment combattre le syndrome du bébé secoué et briser un tabou”.

En Suisse, l’augmentation du nombre de cas de suspicion signalés est préoccupante.

 

“Le constat est alarmant en Suisse avec toujours plus de suspicions signalées. Des efforts sont déployés en matière de prévention et de sensibilisation.

Un nourrisson de quatre mois arrive en ambulance. «Il avait des convulsions, sa peau était pâle et il devait être ventilé avec un masque», raconte Sara Schnyder, médecin-cheffe au centre d’urgences pour enfants et adolescents de l’Hôpital universitaire de Berne.

Elle a examiné le bébé de la tête aux pieds et a constaté des hémorragies cutanées sur la partie supérieure de son bras et sur ses jambes. Il a été transféré aux soins intensifs, où les médecins se sont battus pour le maintenir en vie. Les symptômes indiquaient certes un traumatisme par secouement. Mais une telle commotion n’est pas facile à diagnostiquer. En général, les dommages au cerveau ne sont pas directement visibles sur un bébé. Les conséquences typiques telles que les vomissements, de la peine à boire ou l’apathie peuvent être confondues au début avec une infection.

Une clarification qui demande du tact
Selon la spécialiste, chaque cas est un exercice d’équilibre qui exige de la part des médecins de larges investigations, beaucoup de sensibilité et de diligence. S’ils passent à côté d’une maltraitance, ils laissent l’enfant seul dans une situation qui met sa vie en danger. Mais s’ils accusent à tort des parents, cela peut avoir des conséquences importantes pour la famille.

Mischa Oesch, psychologue en chef et psychothérapeute du groupe de protection de l’enfant à l’Hôpital de l’Île, a déclaré qu’«en 2022 et 2023, il y a eu une forte augmentation du nombre de bébés secoués, un traumatisme crânien grave, avec un à deux cas suspects par mois». Auparavant, on dénombrait une à deux situations douteuses par an.

C’est pourquoi la doctoresse a récemment organisé un colloque au sein de l’établissement médical. Une quarantaine de policiers, médecins légistes, pédiatres, puéricultrices, sages-femmes, des membres de l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte et de l’office de l’enfance et de la jeunesse ont discuté ensemble.

Son objectif? Mieux préparer les parents à l’arrivée d’un bébé, donc aussi à des sentiments tels que l’épuisement ou la solitude. En outre, les pères et les mères devraient être sensibilisés au fait qu’ils ne doivent pas secouer leur enfant, même dans un moment de surmenage.

«Il suffit de secouer violemment un bébé pour qu’il meure ou qu’il souffre de graves lésions», explique-t-elle. De 10 à 30% des cas décèdent. Seuls 10 à 20% ne souffrent d’aucune lésion cérébrale permanente. Beaucoup d’entre eux ont en revanche des handicaps mentaux et physiques à vie.

La notoriété au service de la prévention
Mischa Oesch affirme que «de nombreux parents ont honte d’avoir atteint ainsi leurs limites». Ajoutez à cela le manque de sommeil et de self-control. La limite est vite franchie. Perdre ses nerfs, pour dire à son enfant d’arrêter.

Il arrive donc régulièrement que des parents, ou plus rarement les personnes qui s’en occupent, saisissent les nourrissons et les secouent jusqu’à ce qu’ils se taisent. «Je constate que beaucoup ne sont pas conscients du danger que cela représente», ajoute-t-elle. Selon les estimations des experts, il y aurait entre 15 et 30 cas sur 100’000 naissances en Suisse.

Erhard Loretan, alpiniste de l’extrême aujourd’hui décédé, s’est confronté à une mort qu’il n’a pas voulue. Un fait divers dont il fit la une des journaux nationaux. Le héros des cimes, premier Suisse à avoir gravi les quatorze sommets himalayens de plus de 8000 mètres en 1995, a perdu pied un soir de décembre 2001. Il était seul chez lui avec son enfant, alors âgé de 7 mois, qui pleurait sans cesse.

Il l’a secoué jusqu’à ce qu’il se calme. Le nourrisson a perdu connaissance et est décédé plus tard à l’hôpital. L’alpiniste a rendu l’incident public, révélant plus tard les faits, et en 2003 un tribunal l’a condamné à une peine de quatre mois de prison avec sursis pour homicide par négligence.

Un risque augmenté par la toxicomanie
La police cantonale bernoise a déclaré que «de tels cas ne sont pas la règle, mais ils se produisent malheureusement». Les autorités de poursuite pénale ont examiné de près les exemples signalés avec lésions corporelles graves chez des enfants en bas âge ainsi que les décès d’enfants en bas âge, notamment en collaboration avec l’Institut de médecine légale de Berne. Il n’existe pas de statistiques sur les cas de traumatismes crâniens infligés par secouement en Suisse.

Dans la plupart des cas, ni le père ni la mère n’admettent avoir empoigné leur enfant. Les procédures judiciaires sont souvent des procès classiques basés sur des indices. Le tribunal doit toujours se demander si, après avoir examiné toutes les preuves, il n’y a plus de doute sur la culpabilité de l’auteur ou de l’autrice des faits. Si ce n’est pas le cas, il prononce l’acquittement.

Par exemple, en septembre 2022, le tribunal de district de Zofingen a révélé dans un jugement que «les blessures subies par une fillette de 2 mois indiquaient qu’elle avait été secouée». Bien qu’il soit clair qu’un des parents avait secoué le bébé, tous deux ont été acquittés parce qu’ils avaient nié, le doute profitant aux accusés.

Selon la psychologue, «le risque de maltraitance infantile est plus élevé dans les familles où il y a des addictions, une maladie mentale ou du chômage». Mais même dans les familles saines et bien intégrées, les parents peuvent être dépassés.

Si les personnes qui s’occupent d’un bébé ont l’impression de ne plus pouvoir le supporter, elles devraient chercher de l’aide à temps auprès des sages-femmes, des pédiatres ou du service spécialisé le plus proche.

Pourquoi de plus en plus de bébés sont-ils secoués? D’après Mischa Oesch, les raisons sont multiples. «La tolérance à la frustration des parents semble plus faible qu’avant. L’image du bébé est présentée de manière trop naïve sur les réseaux sociaux.» Et depuis la pandémie, nous serions, de manière générale, plus chargés psychiquement. Faire passer nos propres besoins au second plan n’étant pas chose aisée. Nous sommes devenus plus solitaires.

Les conséquences dans le corps de l’enfant
Si un adulte saisit un nourrisson par la cage thoracique et le secoue violemment, sa tête, relativement grosse par rapport au reste de son corps, ne cesse d’être projetée d’avant en arrière. Comme la musculature du cou est encore faible, le cerveau se déplace alors violemment de part et d’autre à l’intérieur du crâne. Cela peut entraîner la rupture de vaisseaux sanguins, des hémorragies à l’intérieur du crâne ou de la rétine.

Astrid Held, du centre de puériculture bernois, a constaté que «de nos jours, les parents ont souvent des attentes irréalistes, non adaptées à l’âge de leur enfant, et ont du mal à gérer les pleurs». Pour beaucoup, un enfant est un dessein. «S’il ne correspond pas à ce projet, ils sont insatisfaits.»

Des études ont montré que la violence a souvent une histoire. De 33 à 40% des cas ont des antécédents. Pour la spécialiste, cela signifie que les personnes qui ont affaire à de tels cas de parents devraient se renseigner activement sur la violence qu’ils ont eux-mêmes vécue dans leur couple et dans leur enfance, ainsi que sur d’autres facteurs de risque, et suivre ces familles de près.

Des heures difficiles à l’hôpital
Mischa Oesch fait également preuve d’une certaine compréhension. «Ces parents ne font pas cela par mauvaise volonté; ils ne veulent pas intentionnellement blesser gravement leur enfant au moment où ils le secouent. Ils sont simplement totalement impuissants.» Lorsqu’ils arrivent aux Urgences avec leur bébé, ils se comportent, selon la psychologue, comme tous les autres parents dont l’enfant est dans un état critique. Désespérés, inquiets et attentifs.

«Au cours de mes vingt dernières années d’activité au sein du groupe de protection de l’enfant, je n’ai vu que deux fois des parents avouer à l’hôpital qu’ils avaient secoué leur enfant», dévoile-t-elle.

Comme les bébés ne présentent généralement pas de symptômes tels que des convulsions immédiatement après avoir été secoués, les parents ne font souvent pas directement le lien avec les secousses. Ou bien ils le refoulent eux-mêmes. Ou alors ils ne veulent pas dénoncer l’autre parent. De peur que leur conjoint aille directement en prison.

Des études ont montré que dans deux tiers des cas, les pères étaient les auteurs. Lors de la conférence, il a été débattu de la manière dont les hommes pourraient être mieux pris en charge dès la préparation à l’accouchement.

Un exemple de lourd handicap
Revenons au petit patient des Urgences de l’Hôpital de l’Île. Après son entrée, divers examens ont été effectués, comme une IRM du crâne, des analyses de sang et des yeux. Ils ont révélé des hémorragies cérébrales des deux côtés ainsi que dans la rétine, et plusieurs côtes cassées. Des tests plus approfondis ont permis d’exclure toute autre cause à ses blessures.

Le diagnostic. Forte suspicion de traumatisme par secouement. «Dans son cas, nous devons malheureusement partir du principe qu’il restera très lourdement handicapé à vie en raison de ses lésions cérébrales.» Les autorités judiciaires ont entre-temps rouvert le dossier et la protection de l’enfance examine où le bébé pourra être placé en lieu sûr après sa sortie de l’hôpital. Il se peut qu’il ne retourne pas chez ses parents.”

 

D’autres articles:

– TDG publié le 20.06.2023 par Lorraine Fassler “Deux tiers des bébés secoués auront des séquelles à vie”;

– TDG le 06.10.2023 par Clémentine Fitaire – Planéte Santé “Rester zen avec son nourrisson hurleur”.

 

Adresses utiles :

HUG – Santé psychique et périnatalité – Entretien prénatal, bilan en ligne ;

Guide des adresses utiles à Genève “Dépression périnatale”;

Dépression Portpartale Suisse : 130 bénévoles sont très proactives: elles tiennent une permanence téléphonique (021 525 77 51), ont une liste de médecins formés auprès desquels elles peuvent prendre rendez-vous, elles peuvent aussi venir au domicile de la personne pour lui faire à manger ou garder son bébé le temps qu’elle aille consulter. Et animent aussi des groupes de parole en ligne;

Arcade des sages femmes ;

Ecoles des parents ;

Association espace famille ;

Association jeunes parents.


Livre de la semaine


  • La dépression postnatale – Voyage au travers du trouble psychique du postpartum


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