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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

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Et si le désordre n’était pas si grave?


Lettre du mercredi 10 juin 2015 - Source: Echo Magazine



Le rangement du nid familial ne va pas de soi. Quand les affaires des uns empiètent sur l’harmonie rêvée des autres, bien des tensions surgissent. «Je ne pensais pas que des enfants étaient capables de déranger tout ça en si peu de temps», soupire Astrid, un brin perplexe. La veille, la jeune femme a reçu des familles amies pour un apéritif. Pendant que les adultes discutaient au salon, les petits mettaient les chambres d’enfants en coupe réglée. «Au bout d’une demi-heure, tous les bacs étaient renversés. Plus rien n’était à sa place.» Force est de le constater: de nombreux enfants s’accommodent très bien d’un capharnaüm où Playmobil et Lego se disputent le record de pièces dispersées aux quatre coins de la pièce.

Agaçantes différences
«Le rangement n’est pas inné, estime Claire. Du coup, à la maison, c’est un peu la bagarre. Je dois leur imposer de mettre de l’ordre, ce qu’ils rechignent à faire. Ils vivent cela comme une contrainte», poursuit cette maman de trois enfants de 9 à 3 ans. En effet, sous un même toit, des conceptions très différentes de l’ordre cohabitent. Le bazar des uns empiète vite sur l’espace des autres. Ainsi, peu de parents apprécient de vivre au milieu de ce qu’ils considèrent comme un champ de bataille. Celui-ci, d’abord circonscrit aux frontières des chambres d’enfants, peut envahir les pièces communes. Un cartable par-ci, un sac de sport par-là, des crayons en pagaille et des miettes de goûters que l’on peut suivre de la cuisine au canapé. «Je ne supporte pas de voir les manteaux traîner dans le salon quand j’arrive le soir, raconte Patricia, maman de deux enfants. Quand je rentre, il est 19 heures, je suis fatiguée, et quand je vois tout ça traîner, je me dis qu’ils ont attendu que je range tout moi-même. Alors je râle.» Même si les parents n’exigent plus que les lits soient faits au carré, la question de l’ordre reste très présente dans la vie des familles, car les logements sont souvent petits.

Parfois, au sein même du couple, les niveaux d’exigence sont très différents. Claire se définit ainsi comme «maniaque» là où elle juge son mari très «pagailleux». Elle peut se relever la nuit pour ranger un objet quand lui s’accommode de chaussettes qui traînent. Même quand les conceptions de l’ordre et du désordre sont a priori plus partagées, le rangement revient avec la régularité d’un métronome au centre des agacements conjugaux, estime le sociologue Jean-Claude Kaufmann dans (La Trame conjugale). Par cette analyse souvent cocasse de la vie des couples à travers l’entretien de leur linge, le chercheur montre que l’ordre domestique n’est pas si anodin qu’il y paraît. Il révèle au contraire les histoires familiales de chacun, deux types d’habitudes et deux conceptions de l’ordre aussi relatives l’une que l’autre. Il faut du temps avant qu’une nouvelle identité, celle du couple, se forme, par des ajustements successifs et parfois douloureux.

L’art du vide
«L’important est d’accepter que tout ne soit pas fait comme on le souhaiterait, d’accepter l’à-peu-près», rebondit Nathalie de Boisgrollier. Ce coach en parentalité suggère en effet aux membres du couple, et plus encore quand ils sont parents, de relativiser leurs propres attentes. De voir l’effort réalisé plutôt que de punir l’oubli. De laisser une petite plage de liberté individuelle. «J’ai choisi de ne pas trop voir, avoue ainsi Caroline, mère de trois enfants de 10 à 14 ans. Mes enfants ne font certes pas grand-chose à la maison, mais je les laisse s’occuper de leurs chambres. J’estime qu’elles sont correctes. Il faut dire qu’ils n’ont pas tant de choses que ça, car je me débarrasse de ce dont ils ne se servent plus. Tous les ans, je participe à un vide-grenier, je donne à une association.»

Le rangement serait avant tout un art du vide. Il suppose de se débarrasser des objets dont on ne se sert plus. Cette démarche permet à chacun de «redéfinir ses priorités», estime Nathalie de Boisgrollier, et au final d’avancer dans la vie. Ainsi, en se débarrassant des jeux dont il ne se sert plus, l’enfant grandit. Plutôt que les jeter, pourquoi ne pas les donner pour leur offrir une nouvelle vie? Jeunes cousins et cousines, associations, médiathèques et ludothèques de quartier, vide-greniers seront ravis d’assurer cette mission.

Tout un apprentissage
Certains objets, cependant, ont une forte valeur affective. Tel dessin ne peut finir, aux yeux de l’artiste en herbe, dans une simple poubelle. «Il n’est pas question de tout jeter», poursuit Stéphanie Bujon. Cette spécialiste de l’organisation incite à garder quelques souvenirs. «On peut ainsi offrir un dessin très réussi aux grands-parents, par exemple, ou le photographier pour en garder une trace sans se laisser envahir.» Cet effort d’allègement concernerait toute la famille, jusqu’aux plus jeunes. Dès 2 ou 3 ans, un enfant peut en effet ranger. Il sait par exemple mettre ses jouets dans des bacs faciles à ouvrir «à condition qu’il y trouve du plaisir», poursuit Stéphanie Bujon. Elle invite donc à présenter le rangement comme un jeu: «Maintenant, on met les poupées au lit» ou «on range les voitures au garage». «Cela prend du temps et demande de rester à côté de son enfant, mais porte ses fruits», rassure-t-elle.

Puis, vers 5-6 ans, l’enfant peut ranger seul selon un rituel établi. «Mieux vaut tenter une variante ludique là encore. Tel jour de la semaine, on organise une course entre frères et sœurs, par exemple. Si tout le monde s’y met en même temps, c’est plus amusant.» Enfin, à l’adolescence – âge qui bien souvent signifie l’apogée du désordre -, «pourquoi ne pas définir des règles communes ensemble, parents et enfants?», interroge Nathalie de Boisgrollier. Plutôt que de laisser la situation s’envenimer et empoisonner la vie quotidienne, il vaut mieux en discuter calmement. Au terme de la discussion, chacun choisit une tâche. Et il s’y tiendra d’autant plus volontiers qu’il l’aura décidée.


Livre de la semaine


  • «Mademoiselle de trop»


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