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Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, Commission cantonale de la famille

Grand-parentalité

La peluche de Mamie est un robot

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Lettre du mercredi 30 juillet 2014 - Source: Extrait de la revue Echo Magazine, Marianne Meunier



Il stimule et réconforte les personnes âgées: le robot bébé phoque se répand dans les maisons de retraite danoises depuis cinq ans. Un outil thérapeutique qui soulève de nombreuses questions. Fines moustaches, yeux noirs implorant une caresse, un petit phoque trône dans le salon de Pilehuset, un centre où vivent 126 personnes souffrant de démence ou de la maladie d’Alzheimer à Copenhague. L’animal, au pelage doux et à la frimousse de dessin animé, a toutes les allures d’une peluche. Mais «Paro», ainsi qu’on l’appelle dans les centres pour personnes âgées du Danemark, est un robot. Son poids – 2,5 kg – est un premier indice. Les batteries rechargeables qu’il contient en sont un autre. Ses mouvements et ses couinements le confirment: caressé, Paro cligne des yeux, agite les moustaches, remue une nageoire, émet un son; hélé, il retient l’intonation de la voix qui l’appelle et les mots qu’elle utilise le plus souvent; délaissé, il geint. «Paro a l’air vivant, résume Lone Gaedt, consultante à l’Ins titut danois de technologie. Le but est que vous ayez l’impression qu’il vous reconnaît.»

Venu du Japon

Conçu comme un «robot thérapeutique» au Japon dans les années 1990, Paro a débarqué au Danemark en 2008. A l’époque, le gouvernement veut stimuler l’innovation technologique dans le traitement de la démence. Le centre de Pilehuset enquête avant d’arrêter son choix sur Paro. Il en acquiert d’abord un – Paro est vendu au prix de 7’050 francs. Satisfait, il renouvelle son achat et en détient six aujourd’hui. De nombreuses maisons de retraite médicalisées imitent Pilehuset à travers tout le Danemark, où 280 exemplaires du «robot thérapeutique» japonais agitent leurs nageoires.

Un robot pour compagnon des personnes âgées: l’idée a d’abord fait frémir au royaume scandinave. De nombreux médias ont relayé les craintes du personnel soignant d’être remplacé par des machines et celle, plus générale, de voir un objet se substituer à une présence humaine. A l’époque, Mechanical Love («Amour mécanique»), un documentaire de la réalisatrice danoise Phie Ambo, montrait les dérives possibles de la relation entre les hommes et les robots. Entre autres épisodes marquants, on y voyait un couple japonais s’occuper d’un Paro avec autant d’attention et de dévouement que d’un animal domestique, sinon d’un enfant.

Le visage illuminé

Six ans plus tard, le petit phoque blanc ne fait plus guère l’objet de polémiques. Apaisement, réconfort, stimulation, sujet de discussion: le personnel soignant de Pilehuset lui attribue de nombreux bienfaits. «Il peut donner aux résidants le sentiment de jouer un rôle, d’avoir une certaine importance, indique Anne Christoffersen, thérapeute à Pilehuset. Je me souviens d’une patiente dont le visage s’illuminait en sa présence alors qu’avant l’introduction de Paro, elle se tenait immobile et impassible.»

Mesurée, la jeune femme ne considère pas le robot comme une panacée. «Au Danemark, dans les centres pour les personnes souffrant de démence, nous avons toutes sortes d’outils: des poupées, de la musique,… Paro est l’un de ces outils. Nous ne l’utilisons pas tout le temps ni avec tous. Cela dépend des besoins du patient.» Certains rejettent le bébé phoque, d’autres l’adoptent. Lone Gaedt le reconnaît: «Pour certaines personnes, Paro est un miracle, pour d’autres, il n’est d’aucune utilité, car il est perçu comme une provocation». Et cette ancienne thérapeute de convoquer sa «meilleure histoire»: celle d’un vieil homme retrouvé seul dans la neige après avoir tenté de quitter sa maison de retraite et qui est finalement «tombé amoureux de Paro». «Il passait du temps avec lui, lui parlait, et trois à quatre fois par jour l’emmenait dans le jardin, explique-t-elle. Au départ, c’était un outil thérapeutique, puis c’est devenu une activité.»

Les chats s’en vont

Paro réalise-t-il ce qu’un animal domestique ne pourrait pas faire? «A un stade avancé de démence, il est difficile d’interagir avec un chien ou un chat, indique Charlotte Agger, directrice de Pilehuset. Le cerveau et les mouvements des patients sont très lents, de sorte que les animaux s’en vont. Ce n’est pas le cas avec Paro.» Lorsque les patients sont à même de le comprendre, celle-ci estime qu’il est possible de leur expliquer que leur petit compagnon n’est pas un véritable animal. Pour Charlotte Agger, confier à une machine une partie du travail thérapeutique n’entame pas la dignité des patients: «Je comprends ce dilemme, mais dans le cas des personnes atteintes de démence, les frontières éthiques ne sont pas les mêmes, avance-t-elle. Ce qui compte, c’est leur bien-être».

Cette confiance dans la technologie inquiète Thomas Ploug, membre du Conseil danois d’éthique. «Plus on recourt à la technologie, plus on s’éloigne d’un traitement humain des personnes, analyse-t-il. Pris isolément, Paro n’est pas un problème. Le robot aidant à la toilette des personnes âgées n’en est pas un non plus. Mais c’est la tendance générale qui l’est, et on la perd de vue. Elle contribue à transformer les personnes en chiffres sur un tableau Excel.».



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