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Transports : Le vélo est resté la voiture du pauvre


Lettre du mercredi 19 août 2015 - Source: Echo Magazine



Journaliste au Monde et bloggeur, Olivier Razemon est entièrement «transporté» par la mobilité. Auteur d’un ouvrage déroutant sur Le pouvoir de la pédale, ce franc-tireur manie la plume et le guidon avec agilité et poil à gratter. Attention les vélos!

Avec la voiture tout est plus facile. Pourquoi la critiquez-vous?
Olivier Razemon: – Notre moyen de déplacement est intimement lié à notre représentation du monde: nous rêvons tous de téléportation, de nous retrouver instantanément n’importe où, n’importe quand. La voiture nous permet de nous en rapprocher… sauf quand tout le monde veut le faire en même temps! De fait, on va chercher des métaux précieux à l’autre bout du monde pour construire un objet qui dort 95% du temps sur un parking. Une à deux tonnes d’acier, de plastique, d’électronique et de produits chimiques pour transporter un être humain pesant entre 50 et 100 kilos. Pourtant, l’automobile demeure un objet extraordinaire qui possède la capacité d’aller loin sur simple pression du pied. Elle est un prolongement de notre espace privé, parfois même de notre corps.

Que faire face aux embouteillages?
– La solution unanimement reconnue par tous les observateurs est de limiter la place accordée aux voitures en espace, en nombre et en vitesse. Si on refuse de le faire, on ne fait rien. Il faut impérativement sortir la voiture du centre-ville. Parallèlement, il existe une multitude de solutions partielles. En France, entre 2007 et 2009, on a pensé que le vélo en libre-service serait la solution. Pour un politicien, c’est très facile et prestigieux à inaugurer – un moyen de communication plus qu’un moyen de déplacement! En réalité, tout projet de nouvelle structure doit être accompagné. Le diable se cache dans les détails. La politique du vélo n’est pas simple, c’est un système en soi avec une vision d’ensemble.

Quels sont les principaux freins à l’usage du vélo en ville?
– Là aussi, les images ont la vie dure. Le vélo suscite des comportements sournois, c’est à la fois une source de détente et un facteur de tensions. Le cycliste est considéré alternativement comme lent et rapide, riche et pauvre, individualiste mais de gauche, profondément égoïste et naturellement altruiste, humble et arrogant. Dans les têtes, le vélo est resté «la voiture du pauvre», le sport du dimanche; un passe-temps, tout au plus, un talisman écologique, une lubie de bobo, un objet ridicule et un danger public. Mais au grand jamais un moyen de transport! Les politiciens sont les premières victimes de ces fausses représentations du vélo, un objet qui n’est ni de droite ni de gauche. Et puis, on croit que l’on va devoir tout faire à vélo, ce qui nous dissuade aussitôt de nous lancer: «Le vélo, ce n’est pas pour moi, c’est pour l’autre!». Enfin et surtout, enfourcher une bicyclette, c’est promener l’image de soi en public: la bicyclette, cela rend sexy, homme ou femme, cela éveille un rapport au corps: on écarte les jambes, on se montre tel qu’on est, nos formes, nos fesses sont exposées.

Mais que peut-on faire pour favoriser le vélo?
Il suffit de quelques petites choses, comme la construction d’une vélostation, de la généralisation des double-sens, d’un réseau de pistes cyclables digne de ce nom, et la demande augmente instantanément. On se rend alors compte que le choix d’un aménagement est aussi important qu’une augmentation de salaire par exemple, car il change notre vie. Au Danemark, on l’a bien compris: l’apprentissage du vélo dès le plus jeune âge et le réseau très développé font qu’un enfant de trois ans reconnaît une piste cyclable. Chez nous, le thème est sous-traité dans les médias ou traité de manière institutionnelle. Et dans la réalité, l’objet est sous-utilisé.

Il faudrait des choix politiques, une fois de plus…
– Le transport dans son ensemble est un sujet éminemment politique qui touche l’environnement, le social, le budget et les déplacements quotidiens de chacun. Les décideurs pensent que la variable la plus importante est l’argent. Ils oublient d’autres facteurs essentiels tels que l’espace et la perception du temps. Une heure confortablement assis dans un train nous permet de lire. Etre bloqué dans un embouteillage nous ronge. On valorise le voyage lointain et confortable, un nomadisme surtout connecté et, en même temps, tout le monde veut conserver son standing quotidien. Le voyage de tous les jours, de proximité, que l’on appelle déplacement pendulaire, n’est pas valorisé. Dans les pays développés, nous croyons que lorsque tout fonctionne c’est normal, et nous avons oublié toute reconnaissance. En réalité, tout le monde ne peut pas se déplacer librement en tout temps. L’espace et l’écologie sont limités.

Quelle est la situation actuelle?
– Les villes sont de plus en plus étalées et les voitures de plus en plus nombreuses. Les gens ne se croisent ou ne se rencontrent plus sauf dans les centres commerciaux, au travail ou en famille. Ce n’est pas la vraie vie. Le repli sur soi est favorisé par la manière de se déplacer. Dans une voiture, rien n’a d’importance, le paysage défile, égal, d’une rocade à un hypermarché avec des fraises en mars… et après on se rappelle que l’identité est très importante!

Propos Recueillis par Claude Marthaler

Olivier Razernon, Le Pouvoir de la pédale. Comment le vélo transforme nos sociétés cabossées, (Editions Rue de l’échiquier, 192 pages).
Blog de l’auteur : http://transports.blog.lemonde.fr
L’interconnexion n’est plus assurée. Chronique impatiente de la mobilité quotidienne.


Livre de la semaine


  • Le corps bavard


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